Dans le cadre du TSM Skills Lab 2018, les étudiant.e.s de la formation TSM de l’Université de Lille ont traduit en français le rapport The Translation Industry in 2022 du groupe de réflexion sur les métiers de la traduction TAUS.
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Le regretté Claude Piron ne croyait pas à la traduction automatique. Voici une trentaine d’années, en aout 1988, il avait été invité à présenter un exposé à un congrès international sur la « machine à traduire » qui se tenait à Budapest. À sa grande surprise il constata qu’il était le seul traducteur qu’on avait convié ; les autres participants représentaient bien sûr la fine fleur des chercheurs qui peinaient sur l’informatisation de la traduction, et ils vous parleraient aujourd’hui de TAN, de TAS et de singularité comme on parle de vieilles connaissances, mais aucun n’avait la moindre idée de la nature des difficultés qui absorbent l’essentiel de l’énergie d’un traducteur professionnel et semblaient s’être contentés de phrases du genre « mon tailleur est riche ».
Certes, disait Claude Piron dans son livre « Le défi des langues », 90 % d’un texte sont effectivement du genre « mon tailleur est riche » ; malheureusement il reste les 10 % qui pourront demander au traducteur des heures de travail. Il cite ainsi l’exemple d’une épidémie qui s’est déclarée pendant la deuxième guerre mondiale dans un « Japanese prisoner of war camp ». S’agit-il d’un camp américain de prisonniers japonais ou d’un camp japonais de prisonniers américains ? L’anglais a les deux sens, et aujourd’hui une recherche Google permet de le vérifier tout de suite : on trouve des exemples pour les deux interprétations. Il faudra donc faire des recherches, éventuellement téléphoner à l’auteur, pour apprendre peut-être qu’il est mort depuis six mois.
L’ouvrage est bourré d’exemples analogues et même un cas comme « his secretary Tan Buting » peut poser problème : s’agit-il d’un secrétaire ou d’une secrétaire ? Le choix erroné du genre peut choquer l’intéressé(e). C’est que, comme nous dit Claude Piron, « l’anglais fait énormément confiance au contexte et aux connaissances antérieures de celui qui reçoit le message. Le français ne le fait guère. »
Or, du fait de la domination économique des Anglo-Saxons, c’est l’anglais qui, malgré son imprécision, tend à devenir la langue-pont de la traduction automatique. Demandez à Promt ou à Systran de traduire « Mon voisin a épousé ma cousine », vous aurez très correctement « Mein Nachbar hat meine Cousine geheiratet », faites la même requête avec DeepL ou Google Traduction et vous aurez « Mein Nachbar heiratete meinen Cousin » ou « Mein Nachbar hat meinen Cousin geheiratet », ce qui est possible depuis madame Taubira mais ne correspond pas au texte originel. C’est que les deux premiers systèmes ont été créés à une époque où l’on s’efforçait encore de relier chaque langue à toutes les autres, mais les nombre de langues s’étant multiplié on est passé au système de la langue-pont. Le résultat est que, comme on n’a pas eu les mêmes égards envers l’italien qu’envers l’espagnol, mon voisin épousera dans tous les cas « mio cugino » contre « mi prima » en espagnol..
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