Par Sarah De Azevedo, étudiante M2 TSM
Le théâtre est un art millénaire, dont les premières traces remontent à la préhistoire ! Mais pas de panique, il ne s’agit pas ici de retracer toute l’histoire du théâtre, mais plutôt de donner un bref aperçu d’un procédé devenu indispensable dans ce milieu, à savoir, le surtitrage. Similarités avec le sous-titrage ? Contraintes ? Le rôle du surtitreur ? Laissez-moi vous raconter et venez avec moi découvrir les coulisses de cette pratique.

Qu’est-ce que le surtitrage ?
Il s’agit généralement d’une projection au-dessus de la scène, de la traduction/adaptation du texte de la représentation. Le texte est souvent projeté sur un drap blanc ou tout autre support pouvant convenir. Mais la technologie fait des merveilles et il est maintenant courant d’utiliser des panneaux de surtitrage fonctionnant avec des LED. C’est en apparence aussi simple que cela, et c’est un dispositif qui est de plus en plus répandu.
On retrouve deux types de surtitrages, les surtitrages extras-scéniques et les surtitrages intras-scéniques. Les premiers sont ceux que l’on retrouve le plus fréquemment, notamment à l’opéra. Ils sont installés hors de l’aire de jeu, souvent au-dessus ou sur le côté de la scène. Les seconds sont l’exact inverse, et même s’ils sont bien moins répandus, ce sont ceux qui offrent le meilleur confort visuel aux spectateurs. Ils peuvent être installés sur un élément du décor ou au fond de la scène. Maintenant que vous en savez un peu plus, je vous propose de passer à une introduction express relatant les débuts et les déboires du surtitrage.
Il était une fois…
Selon la légende, les prémices du surtitrage firent leur apparition en 1949 en Allemagne dans la zone d’occupation française. La compagnie Jean-Marie Serreau décida de monter un spectacle bilingue : une pièce française surtitrée en allemand et une pièce allemande surtitrée en français. À cette époque, le procédé était très sommaire et ne permettait pas vraiment d’améliorer la compréhension des pièces présentées. Le dispositif de surtitrage était composé de deux tableaux noirs où s’affichait des parties très brèves de dialogues. Ces deux tableaux étaient installés de chaque côté de la scène. Mais les « surtitres » n’étant pas du tout synchronisés avec le débit de parole des acteurs, pas facile de comprendre la pièce ! On assistera en 1960 à l’apparition dans les salles de théâtre de casques permettant une « traduction instantanée » de la représentation scénique. Je vous laisse imaginer la difficulté du procédé, aussi bien au niveau du matériel que pour les « comédiens-interprètes ». Cette technique persistera jusqu’au début des années 70 dans certains théâtres. Il ne s’agit bien évidemment pas de surtitrage, mais cela montre bien qu’il était déjà nécessaire de pouvoir rendre accessible à un public plus diversifié, des pièces aussi bien françaises qu’étrangères. Et c’est finalement en s’inspirant des sous-titrages au cinéma que dans les années 80, le surtitrage comme nous le connaissons aujourd’hui prendra véritablement forme. Et voilà pour la petite histoire ! Il est temps d’entrer dans le vif du sujet en commençant par identifier les similarités et les différences entre surtitrage et sous-titrage.
Parenté avec le sous-titrage ?
Il est vrai que le sous-titrage et le surtitrage sont des pratiques qui paraissent similaires, puisque la pratique du surtitrage est largement inspiré du cinéma et ses sous-titres. Dans les deux cas, il y aura un travail d’adaptation entre l’oral et l’écrit. Il faudra veiller à donner un maximum d’informations, conserver le niveau de langue et les grandes lignes de l’intrigue tout en respectant des contraintes spatiales et temporelles : il faudra limiter le nombre de caractères affichés tout en laissant assez de temps aux spectateurs pour lire confortablement les sous-titres. On favorisera une police de caractère sans empattements. Il sera aussi préférable de ne pas dépasser deux lignes par sous-titre tout en faisant attention à la séparation des unités grammaticales. Vous l’aurez compris, les contraintes « basiques » sont plus ou moins les mêmes. Cependant, nous allons voir qu’une plus grande flexibilité peut être accordée lorsqu’il s’agit de surtitrer.
D’ailleurs, Bruno Péran, directeur de cabinet à l’Université de Toulouse-Jean Jaurès et surtitreur pour le théâtre et l’opéra précise :
Dans le sous-titrage, des normes ont été adoptées en réponse à ces contraintes : en principe un sous-titre n’excédera pas deux lignes de 35 à 40 caractères chacune, et restera généralement affiché pendant 3 ou 4 secondes. Pour les surtitres, ces paramètres ne sont pas normalisés, chaque surtitreur optant ainsi pour le format de surtitres qui lui semble le mieux adapté.
Dans « Le surtitrage et son con-texte source : vers une approche intégrative du surtitrage théâtral », il montre bien que les surtitres peuvent tout à fait être intégrés à la mise en scène, qu’ils peuvent avoir une forme « artistique » venant appuyer une ambiance, le caractère d’un personnage, etc. On peut très bien imaginer, comme l’a fait Bruno Péran, des surtitres à l’esthétique inspirée des intertitres des films muets. Cela ne saurait être réalisable dans le cas de sous-titres ! Il est même possible de totalement occulter certaines parties du texte déclamé afin de commenter ce qu’il se passe sur scène, lorsque ce texte se révèle trop difficile à surtitrer (un personnage qui bafouille, se lance dans des explications confuses, etc.). La pratique du surtitrage est donc évolutive : j’irai même jusqu’à dire qu’il existe autant de manières de surtitrer que de surtitreurs. Attention : il est impératif de collaborer avec les différents intervenants, notamment le metteur en scène qui doit impérativement approuver les propositions du surtitreur.
Pour s’initier au surtitrage, sachez qu’il existe un guide du surtitrage qui répondra à toutes vos questions sur les pratiques de surtitrage, les formations qui existent, l’économie du surtitrage et bien d’autres choses encore ! Il est proposé par la Maison Antoine Vitez, une association de linguistes et gens de théâtre qui souhaitent promouvoir la traduction théâtrale, et faire découvrir le théâtre du monde entier dans un registre contemporain. Afin de bien illustrer les spécificités du surtitrage, je souhaite maintenant vous présenter différentes contraintes auxquelles les surtitreurs peuvent être confrontés.
Contraintes de traduction
N’oublions pas que le théâtre est avant tout un art vivant. C’est pourquoi, selon Bruno Péran, le surtitrage va encore plus loin que la traduction dite « classique » d’une œuvre traduite destinée à la scène. Le texte source se retrouve sur scène, c’est le texte de la mise en scène, provenant du texte écrit qui sera l’objet du travail du surtitreur.
Si l’on s’accorde à considérer que l’objectif premier du surtitrage est de donner accès au sens du texte, on peut donc dire que le surtitrage ne doit pas traduire le texte destiné à la mise en scène, mais plutôt le texte issu de la mise en scène, résultat des interprétations combinées des différents agents de la création que sont le metteur en scène et les comédiens.
Un surtitre doit donc rendre compte autant que possible de ce qui est dit, mais comme expliqué précédemment, dans une limite d’espace et de temps. En premier lieu, le traducteur/surtitreur se pose la question de la fidélité au texte source. Si l’enjeu du surtitrage est effectivement l’accessibilité du sens au public, alors il s’agira surtout de ne garder que les informations principales et d’évincer les détails. À ce niveau, le procédé de traduction à proprement parler peut être assimilé à celui du sous-titrage. Le texte est découpé en fonction des scènes, l’oral est adapté à une forme écrite, la longueur du texte doit être adapté à la vitesse de lecture du spectateur. Cependant, la traduction pour du surtitrage est loin de se limiter à une traduction mécanique et sans âme. En effet, le texte prend vie au gré des représentations dont il est dépendant. Il est éphémère par nature, au service de la mise en scène et du spectateur.
D’ailleurs, n’oublions pas que la mise en scène et le jeu des acteurs vient appuyer et guider le spectateur dans sa compréhension du spectacle. C’est là que l’analyse proposée par Bruno Péran est intéressante : pour faire simple, si on oppose la vision sourcière à la vision cibliste de la traduction, alors il faudra probablement se ranger du côté des sourciers. Il n’exclut pas qu’une traduction cibliste soit possible, mais explique plutôt que pour des raisons spécifiques au surtitrage, une vision sourcière est souvent plus adaptée. Par exemple, adapter des noms et prénoms à la langue cible n’est pas forcément une bonne idée, car cela peut réduire la compréhension de la pièce. En effet, il n’est pas forcément évident pour le spectateur de suivre et se concentrer si les noms affichés dans les surtitres ne sont pas les mêmes que ceux entendus. Attention donc à bien prendre en compte le fait qu’un spectateur ne fait pas que lire, mais qu’il regarde et écoute ce qu’il se passe sur scène. L’approche lors de la traduction ne peut donc pas être la même que lorsqu’on traduit un texte destiné à être lu uniquement.
Contraintes techniques…et artistiques.
Il est important de savoir que n’importe quel spectacle doit être adapté à la salle dans laquelle il sera joué. Le décor, les lumières, le son et la vidéo (lorsqu’il y en a) changent donc en fonction du lieu de la représentation. Il en va de même pour le support des surtitres, ces derniers devant être parfaitement visibles, sans pour autant gêner le regard du spectateur. Au regard de la taille ou de la disposition d’une salle, cet aspect peut parfois se révéler plus compliqué que prévu à respecter, surtout que les surtitres peuvent être intégrés ou non à la mise en scène. Il est important de garder en tête cette idée d’adaptation.
N’oublions pas que, théâtre oblige, des problèmes peuvent survenir lors d’une représentation publique. Mais il est impossible de modifier ou de traduire des surtitres en direct. C’est d’ailleurs LA plus grande différence entre le surtitrage et le sous-titrage. Mais alors que faire lorsqu’un des comédiens oublie son texte ? Eh bien, il faut savoir s’adapter. Je n’ai pas de réponse précise à vous donner, car c’est le surtitreur qui devra décider sur le moment de la marche à suivre.
Une autre contrainte, aussi bien technique qu’artistique se pose lorsqu’arrive la question de la mise en scène. Prenons l’exemple donné par Hervé Péjaudier, écrivain et aussi traducteur depuis le coréen. Il nous relate son expérience de surtitrage pour un spectacle mis en scène par Lee Jong-il, un metteur en scène coréen. D’abord présenté au célèbre festival d’Avignon, le spectacle a ensuite été repris à Paris. Hervé Péjaudier avait proposé de surtitrer le spectacle, car il trouvait dommage que le public français n’y comprenne rien. Le metteur en scène s’est montré réticent puisque le dispositif de surtitrage venait perturber la mise en scène d’un spectacle qui se voulait être une immersion totale dans l’univers et la culture coréenne.
Comment alors intégrer un dispositif de surtitrage tout en respectant la volonté artistique du metteur en scène et la nécessité de surtitrer ? Hervé Péjaudier nous donne quelques pistes : tout d’abord, il est nécessaire d’intégrer au mieux l’écran de surtitrage au spectacle afin de ne pas obliger le spectateur à « sortir » de la pièce. Le maître-mot est l’adaptation ! Il est aussi vivement recommandé que la personne en charge des surtitres pendant le spectacle soit parfaitement intégré à l’équipe des régisseurs. Elle doit donc pouvoir assister aux répétitions autant que faire se peut afin de pouvoir être synchronisée avec le rythme des comédiens, mais aussi des régisseurs lumières, sons et vidéos. Le résultat n’en sera que plus fluide et agréable pour le spectateur, qui ne verra pas les surtitres comme un élément perturbateur.
Je trouve que l’expérience de Hervé Péjaudier est intéressante dans le sens où elle illustre bien la confrontation entre culture source et culture cible, notion centrale en traduction et localisation. Ce qui est également intéressant de noter est que cette question s’étend au-delà du texte cible dans le cas du surtitrage puisque des contraintes spécifiques liées à la mise en scène et à la salle de spectacle peuvent intervenir.

Les logiciels utilisés
Il existe évidemment des logiciels dédiés (ou pas) à la pratique du surtitrage. Selon le guide de la Maison Antoine-Vitez, les plus couramment utilisés de nos jours sont : Impress, Keynote (pour Macintosh), PowerPoint et Torticoli™. Il apparaît que PowerPoint est extrêmement utilisé, mais puisqu’il n’est pas dédié, le logiciel ne laisse pas vraiment de marge de manœuvre. Par exemple, pour modifier la taille de la police, il faut refaire TOUTES les diapositives et un surtitre contient en moyenne 2.000 cartons…
L’avantage du logiciel Torticoli™ est qu’il est plus flexible et ergonomique puisqu’il est dédié spécialement au surtitrage. Pour plus d’informations je ne peux que vous inviter encore une fois à vous référer au guide du surtitrage.
Pour conclure…
Finalement, le surtitrage est un type de traduction qui est par essence éphémère, qui évolue au gré des représentations et des contraintes artistiques et temporelles. C’est un type de traduction à mi-chemin entre la traduction littéraire et audiovisuelle, mais qui garde des spécificités liées au spectacle vivant. N’oublions pas que le surtitrage est également un procédé qui sert à œuvrer pour l’égalité. En plus de rendre accessible à tous des pièces étrangères dont la langue nous est inconnue, la mise en place du surtitrage pour des pièces aussi bien françaises qu’étrangères permet aux personnes sourdes et malentendantes de profiter de n’importe quel spectacle ! C’est notamment ce que propose l’association Accès Culture en offrant des services de surtitrages ainsi que des adaptations en langue des signes française.
Sources :
André Degaine, « Histoire du théâtre dessinée », 2000
Bruno Péran, « Le surtitrage et son con-texte source : vers une approche intégrative du surtitrage théâtral », La main de Thôt [En ligne], n° 4 – Traduire ensemble pour le théâtre, Varia, mis à jour le : 09/03/2018. http://revues.univ-tlse2.fr/lamaindethot/index.php?id=651.
Bruno Péran. « Éléments d’analyse de la stratégie de traduction mise en œuvre dans le surtitrage ». Traduire, 2010. https://journals.openedition.org/traduire/288.
Hervé Péjaudier, « Surtitrer, vous êtes surs ? ». Traduire , 2010. https://journals.openedition.org/traduire/446?lang=fr
Michel Bataillon, Laurent Muhleisen et Pierre-Yves Diez. « Guide du sur-titrage au théâtre. » Maison Antoine-Vitez, 2016.
http://classes.bnf.fr/echo/traduction/
https://www.europe1.fr/culture/les-sous-titres-debarquent-au-theatre-1349372