Traduction et littérature ergodique : Comment traduire l’intraduisible ?

Par Valentin Robinet, étudiant M1 TSM

« Traduttore, traditore » (« Traduire, c’est trahir »), cet adage trouve ses origines auprès du poète italien Niccollò Franco en 1539 dans Le Pistole Vulgari et sera repris 10 ans plus tard par le poète français Joachim du Bellay en 1549. Pour ces poètes, « traduire, c’est trahir » cependant, tous les traducteurs ne sont pas des traîtres, certains le sont, mais il est important de dissocier traduction et trahison. Un traducteur « traître » serait un traducteur qui traduirait des textes dont le registre ne s’y prête pas, dont la traduction serait infidèle, car dans certains cas précis, seul le texte source ferait foi, et ces « mauvais traducteurs » penserait naïvement qu’un texte cible (aussi parfait soit-il dans ses équivalences) pourrait être le miroir exact du texte source. Pourtant, le linguiste Goerges Mounin dans son ouvrage Les problèmes théoriques de la traduction affirme lui, que malgré la complexité des langues et les défis qu’elles peuvent représenter pour le traducteur, il n’y a pas de traduction « inexorablement impossible » (dont le sens comprend une infidélité au texte source) mais celle-ci n’est « jamais vraiment finie ». En effet, la traduction ne remplit que sa fonction de communication tout en étant le plus proche possible du message et des idées du texte source. Mais alors, si la traduction remplit avant tout une fonction d’intercompréhension et qu’elle est selon Mounin toujours possible, peut-on traduire des textes dont le sens caché (les non-dits), l’effet ou encore la structure du texte source l’emporte sur le transfert linguistique lui-même ? Autrement dit, peut-on réellement tous traduire. Je me suis donc penché sur cette question et c’est alors que j’ai pu découvrir un genre littéraire qui met en avant les caractéristiques susmentionnées. Il s’agit de la littérature ergodique.

La littérature ergodique, quésaquo ?

Avant de parler de littérature ergodique, il est important de comprendre la signification du mot ergodique. Le mot ergodique provient de l’ancien grec. ἔργον (Ergod) et signifie « travail, action ». ὁδός, (-ique) signifie-lui « chemin ». Autrement dit, le concept de littérature ergodique est un type de littérature qui incite le lecteur à effectuer une action (physique ou mentale) afin de comprendre dans son entièreté, le texte qu’il a sous les yeux. On peut classer dans cette catégorie les livres-jeux, les calligrammes, les livres à énigme ou encore la littérature hypertextuelle. Il s’agit d’ouvrages qui ne sont pas linéaires, mais dont la présentation est unique. Je vous propose donc une analyse, ou du moins une introduction à un ouvrage qui s’inscrit dans le cadre de ce genre littéraire. Il s’agit de la traduction française du livre américain House of Leaves de Danielewski ou La Maison des Feuilles en français.

La Maison des Feuilles, un pilier de la littérature ergodique

Avant toute chose, je tiens à vous préciser que je ne vous présenterai pas ici le récit détaillé du livre, mais seulement comment se construit le processus de traduction en français de cet ouvrage avec plus ou moins de contexte lorsque c’est nécessaire.

House of Leaves de Mark Zampanò Danielewski est un roman américain paru en 2000, soit 10 ans après qu’il eut été débuté. Sa version française (1re édition) est, elle, parue en 2002. Il s’agit d’un roman qui se compose de plusieurs histoires entremêlées (au sens littéral) les unes aux autres. Ce qui est frappant lorsque l’on ouvre ce livre, ce n’est pas tellement cette structure par niveaux des histoires, mais l’apparence du livre en question. J’illustrerai plus bas certains passages que j’étudierai, mais je vous invite à taper le nom du livre dans l’onglet image de votre moteur de recherche pour que vous vous rendiez compte de ce calvaire visuel. Le premier récit raconte l’histoire d’une famille qui, lors de leur retour en vacance, découvre une pièce qui n’était pas là auparavant, rendant la maison plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur et dont le père de la famille réalise un documentaire filmé sur cette étrangeté et sur son exploration au sein de cette pièce noire et infinie. Le second récit correspond à la découverte et à la réaction de ce documentaire par un homme, M. Errand qui perd la raison et s’obstine pour cette maison. Enfin, le dernier récit correspond aux lettres envoyées par la mère de M. Errand depuis un hôpital psychiatrique à celui-ci. Ces récits peuvent se trouver en notes de bas de page (gloses), éloignés par des pages, des renvois, etc., mais sont surtout différenciés par leur police d’écriture.

Les bases de la traduction

Cela nous amène à notre premier point, à savoir, quel est notre skopos et quelles sont les consignes du client à respecter pour être fidèle au texte source et aux idées de l’auteur. Pour la traduction de cet ouvrage, on peut facilement imaginer que la traduction est destinée à un usage classique, dont le but est la restitution des propos de l’œuvre sans expliciter ni simplifier à moins que cela soit réellement nécessaire ou encore sans employer des tournures de phrases ou des mots qui sont équivalents mais différents, car même si correctes, ces termes ne correspondraient pas aux propos de l’auteur ni même au message du livre (qui peuvent par ailleurs être des non-dits). Il est donc important pour la traduction, que celle-ci corresponde plus à un « word for word » qu’à un « sense for sense » bien que ni l’un ni l’autre ne soient à proscrire. Ainsi, la bibliographie, l’index, la table des matières, le nom de personnes se trouvant dans le livre (et qui existent dans la vraie vie), les glossaires, les notes de bas de page, le braille, etc. toutes ces composantes au sein du livre doivent être restituées en français le plus clairement possible sans reformulation ni explicitation. S’ajoutent à cela des consignes tacites qui proviennent directement des premières pages du livre. En effet, il est important que le mot « maison » (peu importe dans quelle langue il est écrit ou même s’il fait partie d’un mot [ex : « maisonnette » ; « Hausmeister » (concierge)]) soit toujours en bleu, tous les passages faisant quelconque mention du récit du Minotaure d’Appollodore doivent être en rouge et barrés, et les coquilles (erreurs de typographie, de mots) doivent elles aussi être présente en français. C’est étrange mais cela doit être pris en compte lors du processus de traduction.

Quels sont les choix de traductions à faire

Bien plus d’étrangetés surviennent lorsque l’on commence le processus de traduction et cela nous amène à notre deuxième point : les choix de traductions des traducteurs. Bien que le skopos soit assez simple, lorsque l’on se penche directement sur l’ouvrage, nous nous retrouvons face à une difficulté sans nom. Les mots et phrases sont assez faciles à traduire dans l’ensemble, cependant, il est possible de trouver dès les premiers chapitres, l’intervention directe des traducteurs. Cette intervention survient dès les premières notes de bas de pages écrites par l’auteur. On peut voir ici une sorte d’étrangéisation (foreignization) imposée par le registre du livre et le skopos qui lui est attribué. Cependant, la visibilité totalement assumée des traducteurs, est assez paradoxal, car la tendance du marché (où s’inscrit le métier de traducteur littéraire) correspond plus généralement à une domestication, et par extension, à une invisibilité stylométrique du traducteur. Par exemple, dès la page 4, une note de bas de page indique la référence à une traduction en français (depuis l’italien) du Chant III, vers 7-9 de L’Enfer de Dante. Celle-ci contient elle-même sa propre glose de l’éditeur qui elle-même contient une précision du traducteur que voici :

« N’ayant pu joindre directement l’auteur, je me suis permis, chaque fois que c’était possible, de donner une version française des citations d’auteurs de langue anglaise dont Zampanò émaille son texte, et de substituer à sa traduction de citations étrangères (hébreu, italien, espagnol, allemand, etc.) une traduction soit fidèle, soit faisant autorité. De même, je me suis permis, parfois (c’est-à-dire toutes les fois où la chose ne présentait aucun danger), de fournir au lecteur français une traduction intelligible de certains titres d’ouvrages, de chapitres ou d’articles parus en langue anglaise. Dans le même souci de clarté, mes notes, signalées par un astérisque, apparaissent en caractère Gill. – Le Traducteur. »

De fait, on se rend compte que cette précision du traducteur susnommé a toute son importance, car les quelque 420 notes de bas de pages qui devront être traduites le seront parfois avec une précision qui émane du traducteur lorsque c’est nécessaire, et cette précision (ou non) devra être faite par celui-ci. C’est un choix de traduction dont la résolution émane dudit traducteur. Par ailleurs, si l’on revient quelques pages en arrière, avant même l’introduction, on trouve une page qui contient comme seule phrase « This is not for you » (« Ceci n’est pas pour vous » dans la version traduite). Si je mentionne cette traduction, c’est parce que directement après l’introduction du livre, une autre page contient comme seule phrase « Muss es sein ? » (« Le faut-il? » / « Doit-il en être ainsi ? ») qui n’est pas traduit en français et reste ainsi. On peut alors se questionner sur pourquoi traduire une phrase et pas l’autre. En réalité, cet exemple montre toute la complexité de l’ouvrage avant même de se plonger dans sa lecture. En effet, « This is not for you » est écrit dans une police d’écriture qui est utilisée par M. Errand, c’est donc une parole rapportée de cet individu aux troubles psychiatriques. Cependant, « Muss es sein? » est écrit avec la police d’écriture utilisée pour la narration, de plus il s’agit aussi d’une référence directe au Quatuor à cordes n°16 de Beethoven. Lors d’une conversation avec un débiteur qui lui demanda s’il fallait lui rendre l’argent « Muss es sein ? », Beethoven lui répondit que oui, il le fallait « Es muss sein ! ». Cela à inspiré son Quatuor à cordes n°16 qui fait état de cet équilibre entre légèreté et lourdeur. De fait, la non-traduction de cette phrase prend tout son sens, car il s’agit ici d’un non-dit rapporté par l’auteur et qui doit rester inchangé, non traduit, car dans le cas contraire le sens de cette petite phrase perdrait son sens caché, ce qui irait à l’encontre de l’idée originelle de l’auteur. C’est en ce sens qu’une partie de la difficulté de la traduction de cet ouvrage réside. On demande au traducteur non pas de traduire, mais de comprendre les non-dits du texte original, de comprendre tout ce qui demande des connaissances poussées et parfois extrêmes (connaissance en datation carbone 14, sur les photographes du monde entier, connaissances cinématographiques des années 60, sur les pièces de théâtre grec antique, sur les philosophes et leurs idées, sur la théologie, sur les religions du monde, etc.), car à chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe, il faut aller au-delà des mots, il faut se demander ce à quoi pensait l’auteur lorsqu’il l’a écrit ces mots et parfois même ce que le personnage pense. Ainsi, la traduction qui passe majoritairement par un word for word, ne doit pas éluder une possible réflexion sur le sens for sens pour les non-dits. Certains passages demandent donc une adaptation, une domestication dont l’importance est capitale et dont la réponse de ce choix ne provient que de l’esprit aiguisé du traducteur. Cela peut amener celui-ci à intervenir directement dans le livre pour éclaircir certains passages ou au travers de notes de bas de page (ex : « nous y substituons la version française, non moins galère à dénicher. – Trad. ») et parfois, cela peut amener le traducteur à faire des choix imprécis ou incomplets du fait de la complexité de l’ouvrage. Par exemple, la toute première page du chapitre XX de House of Leaves est en braille. Cependant, dans la version française, cette même page s’accompagne d’une glose avec la traduction en français du message, Or, le braille reste le même (il correspond au braille anglais). Ce choix n’est pas incorrect, mais il aurait été tout à fait concevable d’imaginer cette même page avec une glose et dont le braille aurait été localisé pour correspondre à un lectorat français qui puisse reconnaître le braille.

Dans les détails de la traduction ergodique

Mais alors, un ouvrage aussi complexe et dont la traduction est minutieusement réfléchie, peut-il et doit-il être localisé ? Il s’agit ici du troisième point que je souhaite aborder. House of Leaves est un roman américain, débordant de références culturelles américaines. En partant de notre skopos initial, nous en sommes arrivés à nous dire que le word for word et l’étrangéisation sont les concepts clés pour bien traduire cet ouvrage qui s’inscrit dans le registre de la littérature ergodique. De fait, il en va de soi que la localisation des propos semble absurde, car superflue. L’adaptation de ce livre pour un lectorat francophone serait donc une erreur, car s’il l’on se réfère aux 12 tendances déformantes de la traduction littéraire d’Antoine Berman, localiser cet ouvrage nous ferait tomber dans le piège de la clarification, de l’allongement, de la destruction des rythmes ou encore de la destruction des locutions. Ainsi, on ne peut pas traduire et localiser les éléments de cet ouvrage, car cela irait à l’encontre même de celui-ci. Cependant, certains passages, assez rares, pourraient être adaptés. Prenons comme exemple une mesure. À la page 30, il est mentionné une mesure qui montre la longueur d’un pan de mur extérieur de la maison. Elle est restituée comme suit en français : « 32’ 9 3/4’’ [inches] ». Le roman américain ne précise pas cette mesure, car elle parle à un lectorat anglophone, cependant, un lecteur français ne visualise pas ce que représente une telle mesure en pouces. Aucune précision n’est amenée par le traducteur, ce qui est logique puisque la localisation n’est pas permise. Cependant, l’effet escompté lorsqu’un lecteur francophone qui n’a pas connaissance des mesures en pouces n’est pas le même que pour un lecteur anglophone qui a connaissance de ces mesures. On pourrait dire que ne pas localiser cette mesure irait à l’encontre de l’effet escompté par l’auteur. Malgré tout, il n’est pas permis de localiser. Ainsi, nous nous retrouvons dans une impasse face à ce choix de traduction qui amène sur deux voies sans issue. Des exemples comme celui-ci, il en existe assez dans le livre pour qu’on puisse les prendre en compte. On ne peut pas et l’on ne doit pas localiser ce contenu, pourtant suivre ce conseil amène à une erreur qui à un impact sur le lectorat (dans un cas, on parlera d’ethnocentrisme, car on effacera la culture d’origine, et dans l’autre on serait infidèle aux propos de l’auteur et donc la traduction serait infidèle elle aussi). On constate alors que les traducteurs vont choisir d’être le plus fidèle possible aux idées de l’auteur et donc au texte, et d’être infidèles à ceux-ci lorsqu’un choix s’impose. En outre, l’absence d’ethnocentrisme va primer sur l’absence de fidélité. Je vous propose d’examiner la page ci-dessous :

Source: La Maison des Feuilles – Mark Z. Danielewski – Traducteur pour la version française : Claro – © Editions Denoël, 2002

Dans la version originale, il s’agit du poème La Feuille d’Apollinaire, or, dans la version française le poème ci-dessus a été traduit en vietnamien la même page dans la version française. Beaucoup de pages du roman américain sont écrites dans diverses langues (allemand, hébreu, italien, espagnol, français, etc.), mais lorsqu’il s’agit du français, laisser le contenu comme s’il s’agissait d’une traduction en français du roman n’est pas possible, cela n’est pas fidèle au texte (le non-dit n’est pas respecté), alors on adapte et le traducteur doit faire choix. Le choix qui a été fait ici fut de traduire ce passage en vietnamien par feu le traducteur Phan Huy Đường et le poète, éditeur et traducteur Diễm Châu. Ce choix arbitraire de traduire vers une autre langue n’est pas dénué de conséquences. Pourquoi traduire vers le vietnamien ? Pourquoi ne pas proposer une glose qui explique que la page est écrite en français dans le roman américain ? Peut-on parler ici d’ethnocentrisme ? Pour répondre à ces questions, il est important de comprendre que laisser ce passage tel quel serait être infidèle au texte. N’oublions pas que le word for word est imposé par le registre du roman, mais que le sens for sens est aussi présent dans les non-dits. De fait, pour traduire correctement cette page, il faut toujours garder en tête ces éléments. On vient alors traduire ce français qui nous dérange vers une autre langue (n’importe laquelle) avec notre concept de word for word dans le but d’obtenir la traduction correcte du non-dit (sens for sens). Ainsi, la localisation des unités de mesure, des lieux, de la culture initiale, etc. est une chose qui ne peut pas se faire, sauf pour de très rares exceptions qui, non seulement n’auraient pas de conséquences directes sur les non-dits et la fidélité du texte et qui, en plus de cela, soient nécessaires dans les cas où l’absence de localisation ne permettrait pas au lectorat de comprendre certains passages. La prise en compte de la localisation de certains passages du texte en français (et de la fidélité par rapport au roman américain) vient ajouter une nouvelle difficulté dans ce processus déjà complexe de traduction. Pourtant, s’interroger sur l’utilité de la localisation est important pour pouvoir restituer tous les sens cachés et les références du roman correctement.

Nous avons pu voir que pour cet ouvrage, des consignes prédéfinies sont à respecter, que le word for word est très important, que le sens caché de chaque phrase qui en contienne ne doit pas être négligé par le traducteur et que la localisation n’est pas permise même si elle paraît juste et plus arrangeante. Ces difficultés se manifestent dans l’ensemble linguistique de l’ouvrage et ne constituent, à mon avis, qu’une facette de la difficulté réelle. En effet, j’ai omis de vous parler jusque là, de la chose la plus frappante lorsque l’on s’intéresse à la littérature ergodique, à savoir, l’identité visuelle de l’ouvrage. Pour rappel, dans les œuvres ergodiques, on retrouve les calligrammes, et ce pour une bonne raison. L’identité du livre est tout aussi importante que le message, car c’est ce visuel qui va déterminer la longueur des phrases, la place des mots et parfois même les non-dits du texte. Si l’on garde toutes nos difficultés précédemment mentionnées et que l’on rajoute cette identité visuelle, nous obtenons la véritable difficulté du texte. Je vous propose de regarder et d’analyser ci-dessous cette double page du livre :

Source : La Maison des Feuilles – Mark Z. Danielewski – Traducteur pour la version française : Claro – © Editions Denoël, 2002

Cette double page provient du chapitre IX et correspond en tout point à la même double page dans la version originale, de par sa structure un peu particulière. Le corps de texte correspond au récit se trouvant au milieu de la double page. Il s’agit de la narration principale, à savoir le récit de la famille. Ce passage se lit de gauche à droite en commençant par les mots « Peut-être » (« Maybe » dans la version originale) et de haut en bas. Jusque là, aucune difficulté. Dès les premiers mots, se trouve la note de bas de page n°165 (l’annotation et la note en bas de page). Pareil avec la note n°166 qui elle se trouve sur la page de gauche, en bas à droite. Cependant, cette note est écrite à l’envers dans le texte source et doit aussi être à l’envers dans le texte cible, ce qui est le cas. Maintenant, parlons de la note n°167 qui apparaît tout à droite de la page de droite. Cette note apparaît lorsque l’auteur fait mention (sur la page de gauche, à gauche) de lieux, d’édifices, d’acropoles romaines et grecs. Il décide à la fin de son énumération qui s’étend sur plusieurs pages d’ajouter la note n°167 (qui commence à droite), mais qui est elle aussi à l’envers comme la note n°166. Cette disposition particulière à son importance pour le traducteur, car la note n°166 comme la note n°167 continuent de se lire non pas en tournant la page, mais plutôt en revenant en arrière, et ce, tout le long du chapitre IX qui fait plusieurs dizaines de pages et dans la même disposition. Ainsi le traducteur doit avoir conscience de la longueur de la note, car il ne pourra pas dépasser plus que ce que le livre permet. Par ailleurs, on peut avoir aussi la note n°168 qui se trouve être le passage qui se lit à la vertical, en bas à gauche de la page de droite qui ne débute pas sur cette double page, mais qui apparaît bien des pages après et se lit de côté et de la même manière que les notes de bas de page n°166 et n°167. Enfin, nous avons les qui se trouve au mileu de la page de gauche et de droite et qui sont une énumération qui s’étend tout au long de du chapitre IX et qui se lit normalement, à la différence que, ce qui est écrit sur le carré de droite, est identique à ce qui apparaitra sur la carré de gauche de la page suivante. Autrement dit, ces carrés pourraient être transparents, car le carré sur la page de gauche correspond à l’identique au carré de la page précédente. C’est une volonté de l’auteur qui oblige le traducteur à redoubler d’attention sur la structure du livre qu’il traduit. De fait, le traducteur est ainsi limité par le nombre de mots qui correspond à la largeur et à la longueur de la structure donnée par l’auteur à son livre. En français, le taux de foisonnement depuis l’anglais se situe autour des 20-25 %. Il est donc extrêmement compliqué de ne pas avoir ce taux, d’autant plus qu’il est ici impossible de dépasser celui-ci, sans quoi, la présentation du livre change, ce qui rendrait la traduction invalide, car non conforme aux attentes de l’auteur ou même au registre littéraire. Ceci est un exemple parmi les quelque 700 pages du livre qui pour la plupart jouent sur la police d’écriture, la présentation du livre, la taille des caractères, l’accumulation de mots superposés, la structure des paragraphes, la pluralité des langues, la spécialisation de domaines scientifiques ou théologiques, les références culturelles … Vous pouvez trouver ci-dessous encore un exemple qui montre à quel point cet ouvrage joue avec les codes qui définissent le cadre d’un livre.

Source : La Maison des Feuilles – Mark Z. Danielewski – Traducteur pour la version française : Claro – © Editions Denoël, 2002

Pour conclure

Au travers de La Maison des Feuilles, nous avons pu constater que le registre ergodique demande au traducteur une attention toute particulière aux mots qu’il emploie, mais aussi à la longueur de ceux-ci. Ce qui caractérise ce registre, au-delà de la complexité de traduire les non-dits, c’est avant tout son identité visuelle. Traduire House of Leaves sans prendre en compte cette information capitale donnerait un résultat radicalement différent de la version française actuelle. Pour autant, il n’existe pas de checklist permettant de définir ce registre littéraire. En effet, la définition étant plutôt large (c.f. introduction), il existe différentes approches pour traduire un ouvrage qui se rapporte à ce registre, d’autant plus que nous avons étudié un ouvrage depuis l’anglais vers le français et non pas depuis ou vers d’autres langues. Cela dit, la complexité de House of Leaves fut surmontée, et la traduction fut possible pour cet ouvrage. Il n’en demeure pas moins que d’autres ouvrages ergodiques ne peuvent pas être traduits, car le sens des mots, les non-dits ou encore l’identité visuelle du livre ne permettent pas d’obtenir une traduction fiable sans changer le sens du livre. Des ouvrages tels que The Complete Liber Primus du groupe Cicada 3301 ou encore Sur les Traces de la Chouette d’Orde Régis Hauser sont des livres réellement intraduisibles ou du moins pour une grande partie de leur récit, car ceux-ci emploient des codes et une richesse lexicale, propre à leur langue source (en rune / anglais pour l’un et en français pour l’autre) qui couplée aux non-dits, ne permettent pas de restituer l’idée et le message principal voulu par l’auteur. Il est donc vrai que le genre ergodique est un genre littéraire particulier ou certains ouvrages peuvent être traduits, mais d’autre ne le peuvent pas, il s’agit de cas par cas.

Bibliographie :

Danielewski M. Z. House of Leaves. Pantheon Books, United-State of America and Canada : [s.n.], 2000. 736 p.ISBN : 0-375-70376-4.

Danielewski M. Z. La Maison Des Feuilles. Éditions Denoël et d’ailleurs, France : 2002. 717p. (Points Signatures). ISBN : 2-207-25200-0.

Mounin G. Les problèmes théoriques de la traduction. Gallimard.[s.l.] : Sodis, 1963. 304 p.ISBN : 978-89-7641-460-1.

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