Le métier de traducteur : Expectation vs. Reality

Par Charlotte Castex, étudiante M1 TSM

Vous êtes traducteur, vous l’avez été, ou vous souhaitez le devenir ? Vous êtes-vous déjà demandé ce que les gens pouvaient penser de ce métier ? Pour ma part, oui, notamment lors de conversations avec des proches, car je me suis rendu compte qu’il existait une grande variété d’opinions sur le métier de traducteur.

Il est évident que les opinions sur cette profession varient selon que l’on exerce dans le secteur de la traduction ou dans d’autres secteurs. Je souhaitais tout d’abord vérifier cette hypothèse, puis découvrir les sujets pour lesquels les points de vue divergeaient le plus.

Pour ce faire, j’ai mis en place un formulaire via Google Forms, que j’ai publié sur divers réseaux sociaux tels que LinkedIn, Instagram et Discord. À ce jour, j’ai recueilli 318 réponses, ce qui représente un échantillon pertinent et représentatif.

Commençons par examiner le profil des personnes qui ont répondu à ce formulaire.

Premièrement, il convient de noter que les femmes constituent la majorité des répondants, soit environ 70 % des participants. Ensuite, ce sont les personnes ayant entre 18 et 25 ans qui ont été les plus nombreuses à répondre puisqu’elles représentent pratiquement la moitié de l’échantillon. Quant à l’autre moitié, elle se compose principalement de personnes âgées de 25 à 45 ans (39 %) mais aussi, de manière moins significative, de personnes âgées de 45 à 65 ans (17 %). Par ailleurs, la plupart des répondants ont indiqué travailler ou étudier dans le secteur de la traduction, et près de 20 % ont affirmé connaître des personnes travaillant ou étudiant dans ce secteur. En revanche, près de 14 % des participants ne connaissent pas ce secteur, tandis que d’autres en ont une certaine connaissance, sans nécessairement côtoyer quelqu’un qui travaille ou étudie dans ce secteur.

À partir de ces résultats, j’ai décidé de diviser les participants en deux groupes, chacun recevant des questions légèrement différentes. Les personnes qui travaillent ou étudient dans le secteur de la traduction représenteront le groupe A, et les autres personnes représenteront le groupe B.

J’ai commencé par demander aux participants de m’indiquer leur statut et leur niveau d’étude (dernier diplôme obtenu ou en cours d’obtention). Dans le groupe A, environ 61 % des participants sont des traducteurs indépendants, 20 % sont étudiants, et 8 % exercent en tant que traducteurs au sein d’une entreprise. Toutefois, on compte également des gestionnaires de projets, des enseignants, des gérantes d’agence de traduction, ainsi que des chefs de projet en agence de traduction. Ces données montrent bien que la plupart des traducteurs décident de se lancer en freelance, plutôt qu’être salariés au sein d’une entreprise. C’était déjà le cas en 2022, comme vous pouvez le constater sur la page 16 du rapport de l’enquête 2022 sur les pratiques professionnelles en traduction publié par la Société Française des Traducteurs (SFT). Quant au groupe B, les étudiants représentent aux alentours de 60 % des répondants au formulaire.

En ce qui concerne le niveau d’étude, l’option « master, diplôme d’études approfondies, diplôme d’études supérieures spécialisées, diplôme d’ingénieur » a été la plus choisie dans les deux groupes. Cependant, cette option représente 70 % des réponses des participants du groupe A, tandis qu’elle ne constitue que 37 % des réponses du groupe B, qui présente donc une plus grande diversité.

Ces données confirment les perceptions du groupe B. En effet, je leur ai demandé quel niveau d’étude ils considéraient comme « idéal » pour devenir traducteur. La réponse la plus fréquente, à 68 %, a été le master, suivi par la licence à 19 %. Bien que la majorité des participants ait estimé qu’un master était idéal pour exercer cette profession, près de 10 % ont répondu ne pas savoir, et une personne a également souligné que selon elle, ce n’était pas tant une question de niveau d’études, mais de compétences linguistiques. Cela met en lumière un potentiel manque de sensibilisation à la profession de traducteur, car pour certains métiers comme médecin, enseignant, ou architecte, le niveau d’étude requis est généralement connu. Toutefois, personne ne connaît le niveau d’études requis pour absolument tous les métiers. De plus, cela peut varier en fonction du profil du demandeur d’emploi ou encore de l’employeur. Néanmoins, il est vrai qu’il est préférable d’avoir un master (ou équivalent), car cela permet de véritablement se spécialiser dans la traduction, que ce soit de la traduction technique, littéraire, audiovisuelle, etc.

J’ai interrogé les répondants du groupe A sur leur formation actuelle ou passée en tant que traducteur, et les réponses ont été très variées. Par exemple, certaines personnes n’ont pas suivi de formation, mais sont des locuteurs natifs anglophones. Certaines n’ont pas suivi de formation en langues, mais dans d’autres domaines tels que le marketing, le droit ou encore la biochimie. Une personne s’est même reconvertie dans le domaine de la traduction après plus de 10 ans d’expérience professionnelle dans un domaine totalement différent. La plupart des participants ont mentionné les licences LEA et LLCER, suivies d’un master (TSM, MEEF, METS, LEA). Certains ont également évoqué des écoles spécialisées telles que l’ESIT et l’ISIT, des classes préparatoires littéraires ou encore l’EDVENN. Comme vous pouvez le constater, il existe une multitude de parcours différents pour devenir traducteur. Cependant, 72 % des participants du groupe B ne sont pas familiers avec les différentes formations permettant de devenir traducteur. Il se pourrait qu’il y ait un manque de communication à ce sujet, car même dans mon entourage, lorsque je mentionne que je suis en master de traduction, certaines personnes réagissent en disant : « Je ne savais pas que cela existait ».

Par la suite, j’ai sollicité l’opinion de tous les participants quant aux langues vers lesquelles ils estimaient qu’un traducteur devrait effectuer des traductions. L’option « vers sa/ses langue(s) maternelle(s) » a obtenu la première place dans le groupe A (76 %), et la troisième place dans le groupe B, avec seulement 6 %. Il est stipulé dans le Code de déontologie de la SFT qu’un traducteur doit traduire d’une langue étrangère vers sa langue maternelle. De cette façon, le traducteur sera mieux à même d’adapter et de reformuler le texte, et il disposera d’un vocabulaire beaucoup plus riche.

Par conséquent, on pourrait supposer qu’être bilingue est une compétence suffisante pour devenir traducteur, puisque celui-ci traduirait vers ses langues maternelles. Pourtant, dans la plupart des cas, ce n’est pas le cas. Et qu’il s’agisse des répondants du groupe A ou du groupe B, tous en étaient conscients. Le groupe A a répondu à près de 96 % que cela ne suffisait pas, et le groupe B était d’accord à près de 74 %. L’opinion est catégorique pour le groupe A.

Si être bilingue ne suffit pas à être traducteur, c’est car un traducteur ne se contente pas de traduire des mots. Mais alors, que fait-il ? J’ai posé la question dans le formulaire et j’ai reçu beaucoup de réponses différentes. Les quatre options étaient :

  1. Transposer directement des mots d’une langue à une autre
  2. Adapter librement un texte dans une autre langue
  3. Faire des recherches approfondies pour garantir la précision
  4. Utiliser principalement des logiciels de traduction automatique.

C’est la troisième option qui a presque fait l’unanimité, avec 94 % pour le groupe A et 84 % pour le groupe B. J’ai également offert aux participants la possibilité de décrire avec leurs propres mots en quoi consiste le métier de traducteur, et j’ai été agréablement surprise par le nombre de réponses reçues. Je ne vais pas toutes les citer, de peur de vous perdre, mais voici trois réponses qui m’ont semblé intéressantes :

  • « Transposer un message d’une langue à une autre (pas des mots) et l’adapter (pas librement). »
  • « Un mélange des quatre, le travail d’un traducteur est de s’assurer de la transposition d’un texte d’une langue à une autre, en veillant à la fluidité et la précision, et en répondant aux exigences du client, sans pour autant faire une traduction littérale. »
  • « Faire passer un message d’une langue à une autre, la forme changeant selon le skopos et le type de texte. ».

En effet, le traducteur doit s’adapter aux différentes demandes qui lui sont adressées, mais son rôle principal est véritablement de traduire le sens et le message d’un texte, et non pas de simples mots. Si vous souhaitez en savoir plus sur le skopos, je vous invite à consulter ce bref article d’encyclopédie.

Par la suite, j’ai voulu savoir si le métier de traducteur était perçu comme un métier solitaire, et les opinions sont plutôt partagées. Du côté du groupe A, 55 % des répondants estiment qu’il s’agit d’un métier solitaire, tandis que 43 % pensent le contraire. L’écart est moins marqué pour le groupe B, où 43 % des répondants considèrent le métier comme solitaire, contre 51 % qui ne le voient pas ainsi. Le métier de traducteur peut en effet être perçu comme un métier solitaire, notamment pour les traducteurs indépendants. Ces derniers se retrouvent seuls face à leurs textes, et cela pendant parfois de longues périodes. Le fait de travailler depuis son domicile peut renforcer cette perception ou ce sentiment de solitude. Toutefois, même en travaillant de chez soi, le traducteur peut entretenir des relations avec ses clients, des réviseurs ou d’autres personnes avec lesquelles il collabore. Et en travaillant au sein d’une entreprise, cette solitude n’existe donc pas réellement, car il fait partie d’une équipe et peut donc bénéficier d’une interaction sociale plus régulière.

La question suivante est un peu délicate puisque tout le monde n’a pas le même référentiel. Néanmoins, je souhaitais connaître l’opinion des participants sur la rémunération des traducteurs. Pour ce faire, j’ai donné une échelle de notation allant de 1 à 10, 1 étant « ils ne gagnent pas bien leur vie », et 10 étant « ils gagnent très bien leur vie ». Personne n’a choisi l’option 9, mais les deux groupes s’accordent sur une note moyenne de 5/10. Il n’y a pas de grande différence entre les réponses des deux groupes, bien que le groupe A ait concentré ses réponses dans la plage de 4 à 7, tandis que le groupe B a davantage opté pour les notes entre 4 et 6. Toutefois, la notion de « bien gagner sa vie » est subjective et dépend du point de vue de chacun. De plus, la rémunération d’un traducteur dépend d’une multitude de facteurs tels que les langues de travail, le statut (salarié ou travailleur indépendant), les clients, les spécialisations, etc. Cette rémunération varie tellement en fonction de ces facteurs que même le site de l’ONISEP mentionne qu’elle est « très variable en fonction du statut et du secteur d’activité ».

Bien entendu, j’ai voulu connaître l’opinion des participants sur l’impact des nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle, ChatGPT ou encore la traduction automatique sur le métier de traducteur. Pensent-ils que ces avancées menacent ce métier ? Le groupe A, composé, je le rappelle, par des personnes travaillant ou étudiant dans le secteur de la traduction, ne se sent pas particulièrement menacé par l’avènement de ces nouvelles technologies. Cependant, 40 % des participants de ce groupe ont tout de même exprimé leur inquiétude quant à l’impact de ces nouvelles technologies sur leur profession. En revanche, dans le groupe B, 75 % des répondants considèrent l’arrivée de ces nouvelles technologies comme une menace pour le métier de traducteur. C’est un sujet qui suscite de nombreuses discussions, car rien n’est certain, mais il est important de considérer ces nouvelles technologies comme des outils plutôt que des menaces. Il faut apprendre à travailler avec. Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande vivement de lire le billet de Youssef Merimi qui est très intéressant et beaucoup plus détaillé.

La dernière question de ce formulaire aborde les perspectives de carrière dans le secteur de la traduction. Globalement, les participants estiment que ces perspectives de carrière sont limitées et peu évolutives (38 % pour le groupe A et 64 % pour le groupe B), mais certains considèrent qu’elles sont stables (33 % pour le groupe A et 25 % pour le groupe B). Cela signifie que seule une minorité des participants pense que les perspectives de carrière dans le secteur de la traduction sont prometteuses. Toutefois, étant donné que seules ces trois options étaient disponibles, les participants du groupe A ont pu m’expliquer leur point de vue via l’option « autre ». J’ai ainsi reçu 30 réponses différentes, et il en ressort que les perspectives de carrière dépendent du traducteur lui-même. Bien que cela paraisse logique, un traducteur qui a une réelle valeur ajoutée, qui se spécialise et qui s’adapte aux évolutions du marché de la traduction aura plus d’opportunités de carrière et se verra ouvrir davantage de portes qu’un traducteur moins flexible. Comme certains l’ont souligné dans leur réponse, il n’y a pas que la traduction : il existe également des opportunités dans la gestion de projet, la post-édition ou encore la PAO. Pour réussir, un traducteur doit se démarquer. Les perspectives de carrière dépendent aussi des spécialités et des langues de travail de chaque traducteur.

Grâce à ce formulaire, j’ai pu approfondir mes connaissances sur le secteur de la traduction et découvrir les multiples perceptions qui l’entourent. J’espère que ce billet vous a également appris des choses. À travers mes analyses, j’ai cherché à mettre en lumière la grande diversité d’opinions qui caractérise cette profession. Il est essentiel de comprendre que la traduction va bien au-delà d’un simple transfert de mots d’une langue à une autre. C’est un art complexe, un moyen de faire passer des messages d’une culture à une autre.

Bibliographie :

Circonstances E.-E. S. dit que l’homme est fait de choix et de circonstances E. Que personne n’a de pouvoir sur les, Revanche M. Q., Liberté  Chacun en a sur ses choix J. Choisi l’écriture pour sa, Voyages P. S., Découvertes P. S., Art ! ^^ P. S. P. M. A. T. P. S. Suffit-il d’être bilingue pour devenir traducteur ? [En ligne]. QuickPro Translations. 7 avril 2017. Disponible sur : < http://www.quickprotranslations.com/blog/fr/suffit-detre-bilingue-devenir-traducteur/ > (consulté le 28 avril 2024)

Elodie. Pourquoi un traducteur doit-il traduire uniquement dans sa langue natale ? – Traduc Blog [En ligne]. Traduc.com. 2 juillet 2021. Disponible sur : < https://traduc.com/blog/traduire-langue-maternelle/ > (consulté le 28 avril 2024)

Touzac F. Traduction et intelligence artificielle : plus qu’un simple copié-collé [En ligne]. MasterTSM@Lille. 10 mars 2024. Disponible sur : < https://mastertsmlille.wordpress.com/2024/03/10/traduction-et-intelligence-artificielle-plus-quun-simple-copie-colle/ > (consulté le 28 avril 2024)

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« Les bonnes pratiques | Société française des traducteurs : syndicat professionnel (SFT) ». [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.sft.fr/fr/bonnes-pratiques-0 > (consulté le 28 avril 2024b)

« Théorie du skopos – Encyclopédie Wikimonde ». [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://wikimonde.com/article/Th%C3%A9orie_du_skopos > (consulté le 28 avril 2024c)

« traducteur-interprète – traductrice-interprète ». [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.onisep.fr/ressources/univers-metier/metiers/traducteur-interprete-traductrice-interprete > (consulté le 28 avril 2024d)

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