Ils sont fous ces traducteurs ! La traduction de bande dessinée

Par Anaïs Wisniewski, étudiante M1 TSM

 

Remettons les choses dans leur contexte : afin de passer le temps durant le confinement, j’avais décidé de me replonger dans les bandes dessinées Astérix que je possédais chez moi et que je n’avais pas relues depuis des années. Tout au long de ma lecture, la future traductrice qui est en moi ne pouvait s’empêcher de se demander si la personne chargée de la traduction de ces albums et en particulier de tous les noms des personnages était encore saine d’esprit ou si elle s’était arraché les cheveux sur ces magnifiques chefs-d’œuvre. Cela m’a donc donné l’idée d’effectuer des recherches sur la traduction des bandes dessinées et plus particulièrement sur celle de nos gaulois préférés. Mesdames et Messieurs voici pour vous les 5 challenges (ou défis pour calmer l’urticaire des académiciens) que le traducteur de bande dessinée se doit de relever.

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Challenge n°1 : Ne pas faire éclater les bulles

À force de grossir, une bulle ça éclate. Les bulles de bande dessinée n’échappent pas à la règle. Étant donné que l’espace dédié au texte a été défini en fonction de la langue source, le traducteur doit faire avec ce même espace et y insérer sa traduction coûte que coûte. Bien évidemment la restitution du sens et la lisibilité ne doivent pas être altérés et même si le graphiste peut aider en diminuant légèrement la police, c’est au traducteur de réaliser ce miracle. Un miracle en effet car c’est à ce moment que le foisonnement fait son entrée. Foisonnement, un mot qui fait rouler les yeux des traducteurs trois tours en arrière : d’une langue à une autre, le volume du texte peut augmenter, ce qui est le cas de l’anglais au français où le volume augmente d’environ 15 %.

La traduction doit donc rendre le sens du texte source, être concise mais pas trop, avec parfois en bonus des mots qui ne se trouvent pas dans la bulle mais directement dans l’illustration (et qui ne doivent pas altérer les éléments du dessin).

Challenge n°2 : Traduire les sons

Ici je parle bien sûr des onomatopées. Les sons étant pour moi universels, je pensais qu’elles l’étaient aussi. Que nenni. Pour la traduction des onomatopées, le traducteur doit là encore s’adapter aux restrictions de l’espace et de l’image. Il ne faut pas attribuer une même onomatopée à deux sons différents mais utiliser les mêmes tout au long de la bande dessinée et des albums pour ne pas perturber le lecteur. Le traducteur a souvent le choix entre 3 options :

– Conserver l’onomatopée originale

– La garder en francisant la phonétique (« click » devient « clic »)

– La modifier complètement

Petit bonus : lorsque l’onomatopée est dessinée avec de petits effets d’écriture (le mot « crac » écrit et dessiné avec des effets de fissure par exemple), il faut recréer ces mêmes effets ce qui prend évidemment davantage de temps et coûte plus d’argent, bref, tout ce que le traducteur adore.

Challenge n°3 : Faire la paix avec les images

L’image n’a (justement) pas une bonne image dans le monde de la traduction, la preuve en est le traitement de cette dernière souvent effectué par un intermédiaire et non par le traducteur. Pourtant le visuel a la même importance que le texte. Dans l’univers de la bande dessinée l’image n’est pas seulement une addition au texte mais se révèle être complémentaire et guide le traducteur tout au long de la traduction. C’est pour cette raison que le traducteur ne doit pas mettre les illustrations de côté. Il ne doit pas seulement traduire le texte mais aussi tous les éléments dits « paratextuels » car ils forment l’imaginaire de la bande dessinée. « Mot et image, c’est comme chaise et table : si vous voulez vous mettre à table, vous avez besoin des deux. » (Jean-Luc Godard, cité par Martine Joly)

Challenge n°4 : Pas touche aux sangliers

S’il y a bien une chose à laquelle le traducteur ne peut pas toucher, c’est l’imaginaire de la bande dessinée. Transformez les sangliers d’Obélix en cochons, le gui de Panoramix en houx, mettez de l’ananas sur les pizzas tant qu’on y est et le monde courra à sa perte.

Le traducteur doit trouver le juste milieu entre le transfert linguistique pur et simple et l’adaptation de la bande dessinée sans bien évidemment altérer l’univers d’un des plus grands classiques de la bande dessinée.

Certains éléments propres à l’imaginaire d’Astérix sont aussi très compliqués à traduire, comme le nom des camps retranchés entourant le village de gaulois qui sont composés de jeux de mots (français) qui n’ont de sens que si vous les prononcez à la manière d’un mot latin : Aquarium, Babaorum, Laudanum et Petibonum. On retrouve cette difficulté dans la traduction des noms des personnages. Je ne voudrais pas être à la place de celui ou celle qui a dû trouver l’équivalent du nom de Ocatarinetabellatchitchix ou encore Assurancetourix.

Challenge n°5 : Ne pas prendre des vessies pour des lanternes

La traduction n’est pas comme la plupart des gens le pensent un simple transfert linguistique mais demande souvent une adaptation, une localisation et cela s’applique également à la bande dessinée. Le traducteur doit donc faire preuve de créativité et créer une version adaptée d’un point de vue culturel au public cible pour qu’il puisse s’identifier à l’œuvre. Pour bien comprendre l’image il faut avoir les mêmes codes culturels que le public cible ou avoir les compétences culturelles suffisantes, sans quoi l’information ne sera pas comprise.

Le traducteur doit donc faire un choix entre deux propositions :

– adapter le texte source à la culture cible

– trouver un moyen de faire accepter la culture de l’œuvre sans heurter les sensibilités de chacun.

De plus, traduire du contenu humoristique peut s’avérer difficile culturellement parlant puisque ce qui est perçu comme amusant pour une culture peut être offensant dans une autre.

Et là vous allez me dire : « Mais quel est le rapport avec le titre ? ». Asseyez-vous, je vais vous raconter une petite histoire : l’histoire du pouce !

Dans l’album Astérix en Hispanie à la page 11, un groupe de légionnaires veulent faire prisonnier le petit garçon Soupalognon y Crouton (on ne choisit pas son prénom, soyez gentils) qui veut jouer à cache-cache.

Le plus naïf des légionnaires commence à compter avant de se faire gronder par son chef auquel il répond « Mais puisque ça ne vaut pas ! ». Le « jeu » s’interrompt ensuite car Astérix et Obélix arrivent pour défendre Soupalognon et commencent une bagarre avec les légionnaires qui ne font pas le poids, comme d’habitude. On aperçoit à la dernière case de la page le fameux légionnaire naïf assommé et étourdi par les coups des gaulois en train de lever le pouce. Ce pouce va être sujet à interprétation et créer un véritable problème de compréhension au sein des traducteurs.

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Dans la version originale (francophone) de la bande dessinée, le légionnaire lève son pouce pour signaler une « trêve » durant le jeu de cache-cache comme le font les enfants en France.

Mais le geste du pouce pour signaler une pause dans le jeu n’est pas universel, en Allemagne par exemple on lève la main paume vers l’avant. Les traducteurs étrangers ont alors interprété le geste du pouce levé comme étant une référence aux anciens Romains qui, pendant les combats de gladiateurs, levaient le pouce lorsqu’ils voulaient épargner le combattant (c’est par ailleurs une idée reçue, personne ne faisait ça au temps des Romains, pardon d’avoir brisé vos illusions).

Et comme un problème n’arrive jamais seul, devinez dans quelle situation lève-t-on son pouce en Grèce, au Moyen-Orient et dans d’autres régions d’Afrique et d’Amérique du Sud :

  1. Pour appeler un taxi
  2. Pour signaler une envie pressante
  3. Pour faire un doigt d’honneur
  4. La réponse D

C’est bel et bien la réponse C ! Dans ces régions du monde le pouce levé est l’équivalent du doigt d’honneur en France. Un geste a priori banal dans une bande dessinée humoristique a pu offenser une partie des lecteurs dans le monde et les traducteurs ne se sont rendus compte de rien.

Si vous êtes intéressés par cette histoire je vous conseille vivement de lire ce document écrit par Yuste Frias qui traite de la traduction de l’image dans les albums d’Astérix.

Cet exemple démontre qu’en plus de la traduction, le traducteur doit penser à l’interprétation de l’image dans la culture cible et ne peut la négliger.

 

Les cinq challenges dont j’ai parlé dans ce billet ne représentent qu’une partie du travail de traducteur dans le milieu de la bande dessinée et dans la traduction en général. En effet beaucoup de difficultés rencontrées au cours de la traduction de bande dessinée sont également présentes dans les autres domaines de la traduction.

On oublie bien souvent que le traducteur, outre le transfert linguistique est chargé de transporter l’imaginaire de nos œuvres préférés dans des cultures très différentes sans se faire remarquer et doit donc se poser les bonnes questions qui ne viendraient même pas à l’esprit du lecteur qui lit innocemment son album.

 

Sources :

-Frías, José Yuste. « Signe et symbole en traduction III ». Sur les seuils du traduire, https://seuils.hypotheses.org/428

-Traduire l’image du pouce levé dans « Astérix en Hispanie » II ». Sur les seuils du traduire, https://seuils.hypotheses.org/270

-Khelil, Lamia. « Bandes dessinées : le double défi de la langue et de la culture ». Traduire. Revue française de la traduction, no 239, décembre 2018, p. 87‑94, https://journals.openedition.org/traduire/1586.

-Traduction de bandes dessinées – EVS Translations, https://evs-translations.com/blog/fr/traduction-bandes-dessinees-humour/

-Traduire chris ware. http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article964

-Ylä-Outinen, Laura. L’influence des onomatopées anglaises sur les onomatopées françaises et finnoises dans la bande dessinée. 2009, https://jyx.jyu.fi/bitstream/handle/123456789/19655/Laura_Yl%C3%A4-Outinen.pdf?sequence=1

-YUSTE FRÍAS J. Traduire l’image dans les albums d’Astérix. À la recherche du pouce perdu en Hispanie. 2011, http://www.joseyustefrias.com/docu/publicaciones/Tour-du-Monde-Asterix/JoseYusteFrias2011_Traduire_Image_Asterix.pdf

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