Les défis de la localisation de jeux vidéo

Par Loreen Lesaffre, étudiante M1 TSM

Tout d’abord, la localisation, c’est adapter un texte source à une audience cible en modifiant ses aspects sociaux, culturels, linguistiques, juridiques, et bien d’autres : un concept qui est donc très important lors de la localisation d’un jeu vidéo, puisqu’il est primordial de transmettre le même niveau de divertissement d’une langue à une autre, d’une culture à une autre. L’équilibre entre une domestication totale du texte et une conservation de la culture d’origine varie selon les jeux, les genres, les approches des créateurs de jeux vidéos etc., bien que la plupart du temps, une domestication soit préférée pour mieux atteindre l’audience ciblée.

Le domaine de la localisation de jeux vidéo est assez récent, puisqu’il apparaît dans les années 90 avec la démocratisation et l’expansion de ce marché dans le monde : les jeux vidéo ont besoin d’une bonne localisation, et non plus d’une traduction amateur faite par les développeurs juste avant leur sortie. Le chemin vers cette bonne localisation est cependant semé d’embûches. En effet, il faut faire face à de nombreuses difficultés pour garantir aux joueurs la meilleure expérience de jeu possible. Quelles sont-elles ?

Technicité et créativité

La localisation de jeux vidéo, comme tout autre type de localisation, implique de nombreuses règles à respecter afin de transcrire le format numérique au mieux possible. Un nombre de caractères limité (voire très limité sur certains supports) pour que le texte ne dépasse pas des boites de dialogue, des balises à placer rigoureusement pour qu’elles affichent la bonne variable, une terminologie très spécifique… Ces principes techniques sont primordiaux pour assurer une expérience de jeu immersive : quel que soit l’univers vidéoludique dans lequel nous nous trouvons, il est difficile d’ignorer une phrase mal découpée ou des symboles qui ne devraient pas être là.

Si ces notions techniques sont importantes, la créativité l’est autant. En effet, le jeu vidéo est maintenant un média qui peut contenir des dialogues et des histoires dignes d’un film, et qui peut être considéré comme un art. Il faut donc respecter l’univers, les personnages etc. pour transmettre les mêmes émotions que celles du jeu en langue source. Pour cela, il faut faire appel à son imagination. Ce travail relève parfois de la transcréation, c’est-à-dire une réécriture totale du texte source par le traducteur. De nombreux aspects d’un jeu vidéo sont concernés, entre autres :

  • les noms : que ce soit des noms d’objets ou de lieux imaginaires, il faudra souvent les adapter à la langue cible. En effet, beaucoup de noms inventés sont en fait une composition de mots déjà existants dans une langue. Pour les noms et prénoms de personnages, c’est encore une autre histoire. Il peut être avisé de localiser certains noms, si ceux-ci sont des jeux de mots par exemple ;
  • l’humour : c’est bien connu, chaque culture a son propre humour et il est impossible de transcrire littéralement des blagues et des jeux de mots d’une langue à une autre. Il faudra faire preuve d’imagination pour trouver une autre blague qui correspondra au contexte ;
  • les dialectes et façons de parler : quand un personnage a un accent ou une façon de parler spécifique, il faudra parfois l’adapter si la situation géographique du jeu diffère entre les langues ;
  • les références culturelles : chaque pays a ses références culturelles, que ce soit en musique, en cinéma, en termes d’histoire, et même si certaines sont mondialement connues, il peut être utile de les adapter à l’audience cible pour qu’elle comprenne mieux et se sente incluse ;
  • la poésie et le chant : les univers vidéoludiques sont parfois si travaillés qu’ils ont leurs propres poèmes et chansons. À nous traducteurs de réveiller le poète qui est en nous et de retranscrire le même message et les mêmes émotions que les paroles d’origine, tout en conservant au mieux la forme et les rimes.

Une chose est sûre : il faut connaître le skopos de la localisation d’un jeu en particulier avant de se lancer. Selon le contexte dans lequel ce jeu se situe, il ne sera pas forcément obligatoire de localiser chaque nom ou aspect culturel.

Un manque de reconnaissance

La localisation de jeux vidéo est, malheureusement, un domaine peu reconnu. Contrairement à d’autres domaines où les lecteurs ne se rendent même pas compte qu’ils font face à un texte traduit, il est rare de ne voir aucune critique négative concernant la localisation d’un jeu vidéo, que ce soit pour une erreur dans le texte à cause d’un manque de contexte, ou une incompréhension de la stratégie de localisation par le grand public, qui souhaite souvent une version du jeu quasi identique à la version originale (ce qui va à l’encontre du concept même de la localisation).

L’audience a souvent du mal à prendre en compte le processus de localisation d’un jeu vidéo (qui peut parfois comprendre des millions de mots pour les plus gros titres), et les difficultés que celui-ci implique. Par exemple, avant la sortie d’un jeu, pour des questions de confidentialité ou autre, en plus d’être quasiment sûres de ne pas apparaître dans les crédits, les personnes en charge de la localisation ne recevront que peu, voire pas du tout de contexte. Il peut donc être difficile de comprendre où sera placé un texte, surtout lorsqu’il s’agit de simples mots présents dans les menus.

Conclusion

La localisation de jeux vidéo est un domaine bien spécifique, qui demande à la fois d’être rigoureux sur les aspects techniques et d’être assez créatif pour transcrire des jeux qui peuvent parfois s’apparenter à de réelles œuvres d’art. Bien que ce soit un domaine passionnant, il faut donc prendre son courage à deux mains et faire preuve de créativité pour faire face aux difficultés rencontrées. Il est important de prendre en compte les retours des joueurs, qu’ils soient négatifs ou positifs, et de respecter l’univers du jeu vidéo afin d’évaluer quelle stratégie adopter lors de la localisation : chaque jeu est unique en son genre, et comme pour toute traduction, la stratégie qui marchera à tous les coups n’existe pas !

Pour plus d’informations au sujet de la localisation de jeux vidéo, je vous conseille de lire ce billet de blog.

Bibliographie

O’HAGAN, Minako. Le plaisir avant tout : la localisation des jeux vidéo japonais. TTR: Traduction, terminologie, rédaction, 2009, 22 (1), p.147-165. ISSN: 0835-8443

MANGIRON, Carme. Found in Translation: Evolving Approaches for the Localization of Japanese Video Games. Arts (Basel), 2021, 10 (1), p.9. ISSN: 2076-0752

CHANDLER, Heather Maxwell, DEMING, Stephanie. The game localization handbook. Sudbury : Jones & Bartlett Learning, 2012. 369 p. ISBN : 978-0-7637-9593-1

ALPHATRAD. Tout savoir sur la traduction de jeux vidéo. ALPHATRAD FRANCE [en ligne]. 5 mai 2020. [Consulté le 01/06/2021]. Disponible à l’adresse : https://www.alphatrad.fr/actualites/traduction-jeux-videos-tout-savoir

BERNAL, Miguel. “On the Translation of Video Games.” The Journal of Specialised Translation. [en ligne]. Juin 2021, 6. [Consulté le 01/06/2021]. p.22-36. Disponible à l’adresse : https://www.jostrans.org/issue06/art_bernal.php

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