Traduction : Que faire de toutes ces langues que vous parlez ?

Par Matilda Gascon Delqueux, étudiante M2 TSM

Nombre d’entre nous connaissons d’autres langues que celles étudiées en master de traduction. Voyons ensemble comment les intégrer à notre pratique.

Se lancer dans la traduction requiert généralement d’être titulaire d’un master, au cours duquel on apprend à traduire depuis deux langues de travail vers sa langue maternelle. Cependant, il n’est pas rare de pratiquer plus de deux langues étrangères — dès lors, comment travailler depuis d’autres langues que celles figurant sur son diplôme ? Qu’il s’agisse de véritable maîtrise ou de simples notions, voici quelques conseils tirés d’échanges avec des professionnel·le·s et de ma propre expérience.

Ajouter des langues de travail à son arc

En traduction, une langue de travail est une langue étrangère que l’on maîtrise à un niveau avancé. Bien qu’il soit ardu, voire impossible d’atteindre le niveau d’une personne native, nous possédons une compréhension étendue et fine de nos langues de travail, car nous nous devons d’en rendre tout le sens dans notre langue maternelle.

La majorité d’entre nous avons suivi une formation en master avec deux langues de travail, l’une d’elles étant souvent l’anglais. Mais parfois, nous parlons d’autres langues à un niveau avancé : apprises dans un cadre familial, au cours de nos études, après le master en allant vivre dans un autre pays… Les situations sont aussi variées qu’il existe de traducteurs et traductrices. Si vous vous retrouvez dans cette description, vous n’avez probablement pas envie de laisser tomber ces langues — après tout, vous avez passé du temps à les apprendre et elles font partie de vous. Alors, comment s’y prendre ?

Avant toute chose, je tiens à répondre à la question suivante : faut-il un diplôme dans la langue que l’on souhaite ajouter à sa pratique ? Pour prétendre travailler avec des agences, l’important est d’être titulaire d’un diplôme de traduction. Peu importe si vous proposez des services dans des langues autres que celles figurant sur l’intitulé de votre formation ; le test de traduction qu’on vous fera probablement passer en dira bien plus sur votre niveau. Néanmoins, si vous en ressentez l’envie, vous pouvez suivre des cours en plus de votre activité professionnelle et préparer une certification. Celle-ci pourra vous être utile dans les rares cas où une preuve de votre maîtrise linguistique vous sera demandée, et servira surtout à vous rassurer sur votre légitimité à offrir des services de traduction dans d’autres langues que celles suivies en master.

Mais alors, s’il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme, comment se lancer ?

L’approche la plus conseillée consiste à travailler en interne dans une agence offrant la combinaison linguistique que vous aimeriez développer. Vous pouvez commencer par demander à réviser des traductions depuis la langue qui vous intéresse, puis proposer de traduire. Le contact sera plus facile, il est moins intimidant de faire cette demande en tant que membre d’une équipe en interne, et le retour sur votre travail est immédiat — ce qui ne vous empêche en aucun cas de tenter comme indépendant·e ! Si vous souhaitez créer votre propre entreprise par la suite, cette agence sera susceptible de figurer parmi vos clients principaux, y compris dans cette nouvelle combinaison, car elle connaît déjà la qualité de votre travail. Aussi, si vous devez ou pouvez effectuer un stage dans le cadre de votre master, je vous conseille fortement de vous tourner vers une agence proposant la combinaison linguistique que vous aimeriez intégrer à votre pratique.

Vous pouvez également vous tourner vers un binôme de confiance : un camarade de master diplômé dans l’une des langues de travail que vous souhaitez ajouter à votre CV, ou bien une traductrice de bon conseil, rencontrée au hasard de votre vie professionnelle… Demandez-lui de vous confier un petit projet qui correspond à vos spécialités pour vous faire la main. Il ou elle pourra vous réviser et vous donner les retours constructifs qui permettront de vous améliorer. Contrairement à l’image que l’on peut se faire en entrant dans le monde de la traduction, notre communauté fait preuve de beaucoup d’entraide et de bienveillance. N’ayez pas peur de vous lancer !

Le mentorat est une autre solution très enrichissante : certains organismes proposent de mettre en relation mentor et mentoré·e afin de développer ses compétences et prendre confiance en soi en tant que néophyte sur le marché de la traduction. Parmi les programmes de mentorat, on retrouve plusieurs associations et syndicats de traduction, comme la SFT avec le programme Boussole. Vous pouvez aussi vous tourner vers ceux de Translation Commons, ProZ.com et bien plus encore.

Enfin, quelle que soit votre démarche, n’oubliez pas de vous présenter professionnellement comme traduisant depuis la ou les langues que vous souhaitez développer. Si le monde n’est pas au courant que vous les maîtrisez, on ne vous proposera pas de projets dans ces combinaisons !

Mettre à profit vos langues « mineures »

Nous avons passé en revue quelques pistes pour ajouter des langues de travail à votre pratique de traducteur ou traductrice. Cependant, les professionnel·le·s du secteur ne font pas que traduire : le contrôle qualité, la mise à jour terminologique ou encore le testing de logiciels peuvent faire partie des services que vous proposez. Au cours de mon stage de Master 1, j’ai réalisé que toute connaissance linguistique peut s’avérer très utile sur les tâches techniques, même si votre niveau n’est pas avancé. J’ai notamment eu l’occasion d’effectuer plusieurs contrôles qualité techniques multilingues (cross-language QAs), d’alimenter un glossaire en allemand et de faire remonter les incohérences entre le glossaire et la mémoire de traduction d’un client depuis le japonais — tout cela en ne comprenant que très peu les deux langues mentionnées. Voici les quatre niveaux de connaissance non avancée d’une langue qui, selon moi, peuvent apporter une valeur ajoutée à votre profil et vous permettre de varier vos projets au quotidien.

Niveau intermédiaire

Il s’agit d’une langue que vous comprenez, savez utiliser pour les interactions les plus simples et dont vous connaissez les bases grammaticales. En bref, vous vous « débrouillez », et votre niveau correspond au A2 ou B1 du CECRL. Cette connaissance peut largement suffire, et même s’avérer très précieuse. Par exemple, si vous devez effectuer du testing dans cette langue, vous saurez reconnaître des fautes d’accord et des troncatures sur l’interface logicielle. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de contrôler la qualité de textes rédigés en italien, langue que j’ai étudiée trois ans en licence, et ai su repérer quelques mots manquants et fautes d’inattention, ce qui n’aurait pas été possible dans une langue que je ne comprends absolument pas. Ainsi, si vous avez suivi des cours de LV3 au lycée ou en licence, ou avez quelque peu pratiqué une langue grâce à votre entourage, bonne nouvelle : vous pouvez mettre ces acquis à profit dans votre vie professionnelle.

Niveau « faux débutant »

À ce stade de compréhension, si on vous catapultait dans un pays parlant cette langue, vous survivriez grâce à des bribes de vocabulaire, une conjugaison douteuse… et beaucoup de communication non verbale. Eh bien, das ist mon cas en allemand ! Pourtant, le simple fait de m’être intéressée à la langue de Goethe étant plus jeune m’a servi durant les QA techniques et l’alimentation d’un glossaire, pour lequel je devais retrouver les équivalents allemands de termes anglais traduits dans des documents de plusieurs pages. Alors vous aussi, utilisez vos réminiscences de polonais appris en famille ou vos centaines d’heures de visionnage d’Arte pour remplir des glossaires (dépaysement garanti) !

Niveau « peut-on appeler cela un niveau ? »

À la question « Comprends-tu le japonais ? », ma réponse sera malheureusement non. Néanmoins, cette langue m’a toujours attirée, ce qui m’a amenée à reconnaître ses différents systèmes d’écriture et certains de leurs caractères. Au cours de mon stage du printemps dernier, ce maigre bagage m’a suffi pour vérifier plus de 3000 entrées de glossaire anglais – japonais et leur adéquation avec les segments sauvegardés dans la mémoire de traduction du client. Cet exemple est la preuve que, même si vous avez l’impression que vos connaissances dans une langue ne sont pas suffisantes pour être exploitées, elles peuvent rendre de grands services aux équipes avec lesquelles vous travaillez. Tout en restant bien sûr réaliste et honnête, ne sous-estimez donc pas vos compétences.

Niveau « je sais que cette langue existe »

Enfin, sachez que pouvoir repérer des problèmes d’affichage de ponctuation dans un texte en hébreu ou être au courant que les grands nombres ne se « découpent » pas de la même façon dans les différentes langues asiatiques m’a permis d’aider mes collègues sur certains projets. Je ne parle ni ne lis un mot d’hébreu ou de mandarin. Moralité : être curieux·se de toute information qui s’offre à vous peut toujours servir, même des années plus tard !

Pour conclure

Travailler dans le domaine de la traduction vous garantit une vie professionnelle riche et en constante évolution. Les langues que vous avez étudiées en master ne seront peut-être pas celles depuis lesquelles vous traduirez le plus au quotidien : l’important, c’est de faire ce pour quoi vous êtes doué·e et ce qui vous plaît.

Un grand merci à David Braye et Justine Six, qui ont pris le temps de répondre à mes questions dans le cadre de la rédaction de ce billet, et ont ainsi nourri ma réflexion professionnelle.

Mes remerciements à toute l’équipe de Nancy Matis SRL, qui m’a accueillie en stage de Master 1 et m’a fait prendre conscience de l’utilité de l’ensemble de mes compétences linguistiques.

Sources

DEMICHELIS, Veronika and SÁNCHEZ ZAMPAULO, Madalena, 2020. Smart Habits for Maintaining Your Language Skills With Eve Bodeux. Disponible à l’adresse : https://smarthabitsfortranslators.com/podcast-episodes/30

GASCON, Matilda, 2021. Rapport de stage, Master 1 Traduction Spécialisée Multilingue, Université de Lille.

http://nancymatis.com/

https://fr.jsix-translations.be/

https://translationcommons.org

https://www.proz.com/guidance-center/mentoring-program

https://www.sft.fr/fr/commission-boussole

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