La valeur des mots

Par Youssef Dine, étudiant M2 TSM

translate

 

Il existe de nombreuses manières de deviser un projet de traduction : le traducteur ou l’agence de traduction peut facturer au nombre de pages, de caractères et plus rarement à l’heure. Mais c’est bien entendu la facturation au mot source qui reste la plus répandue, et c’est très souvent un point de discorde entre client et fournisseur. De nombreuses questions se posent : comment déterminer le nombre de mots ? Que faire des 100 % match ? Faut-il les facturer au client ? Une agence de traduction doit-elle payer les traducteurs pour ces segments ?

Je tenterai de répondre à ces questions à travers ce billet.

 

Le décompte :

Tout d’abord, qu’est ce qu’un mot ? Cette question peut paraître étrange mais un client peut se la poser. Un nom propre est-il considéré comme un mot en traduction ? Qu’en est-t-il des chiffres ou d’un « l’ » ? Un mot composé comme « swimming pool » par exemple, est-il considéré comme 1 ou 2 mots ? Si l’on pose cette question à des traducteurs professionnels, ils répondront très certainement que tous les mots ont leur importance et devront par conséquent être comptabilisés. D’ailleurs un traducteur ne traduit pas une série de mots mais bien un texte dans sa globalité, le nombre de mots n’est qu’une manière de quantifier son travail.

Ce qui nous amène à la question suivante : comment quantifier ce travail ?

 

En général, les traducteurs et les agences travaillent avec des outils de TAO qui disposent d’un outil d’analyse permettant de décompter les mots. Bien entendu, si le document est sous format Word, le décompte de mots est également disponible. D’autres outils permettant de compter les mots existent, certains sont payants comme PractiCount ou AnyCount mais d’autres comme Word Count Tool ou Countofwords sont gratuits et ont l’avantage d’être en ligne. Mais chacun de ces outils ne dispose pas du même algorithme de comptage, et leurs résultats peuvent être très différents. À noter que pour les outils gratuits, ils ne fonctionnent qu’en copiant-collant le texte à traduire, ce qui n’est pas toujours pratique pour des documents complexes.

Pour avoir une idée, j’ai décidé de faire un test avec un texte assez long que j’ai rédigé il y a quelques années dans le cadre de mes études. Si l’on part du principe que tous les mots sont nouveaux et que le tarif du traducteur est de 0,08 €/mot, nous obtenons les résultats suivants :

tableau

Décompte de mots sur 5 outils différents pour un même document

 

On voit bien que les résultats obtenus varient selon l’outil utilisé et bien que la différence de prix ne soit pas très élevée, sur la durée et sur plusieurs projets, ce sont des centaines d’euros qui peuvent être économisés ou perdus chaque mois.

 

Si l’on se place du point de vue d’une agence de traduction, il est clair que le devis envoyé au client prendra en compte le décompte de Word étant donné qu’économiquement il lui est favorable et qu’il est peu probable que le client ait à sa disposition un outil de TAO. Mais surtout va-t-elle comptabiliser le même nombre de mots au moment de payer le traducteur ? Là encore, il est fort probable qu’elle utilise le décompte de Trados pour maximiser son profit. D’où l’obligation pour le traducteur d’effectuer sa propre analyse et d’en discuter directement avec l’agence pour se mettre d’accord sur le nombre exact de mots à traduire.

 

Autre point de discorde : les 100 % match. Sont-ils déduits des devis faits au client ? Les agences payent-elles les traducteurs pour ces segments ? Et si oui, à quel prix ?

Que faire des 100 % match ?

Il n’y a pas de réponse définitive à cette question. Comme pour n’importe quelle question relative à la gestion de projets, la réponse est : « cela dépend ». De quoi me direz-vous ? Bien entendu, cela dépend du projet, du client, de son budget, de ses connaissances en TAO mais bien sûr du traducteur, de ses tarifs et de sa relation avec les agences. Après avoir interrogé plusieurs professionnels du milieu sur cette question, je me suis rendu compte que les pratiques n’étaient pas les mêmes d’une agence à une autre. Il arrive que celles-ci ne payent pas les traducteurs pour les 100 % match et les Context match, et ce, pour plusieurs raisons :

  • le client a des connaissances en TAO, il sait ce qu’est une mémoire de traduction et ce qu’est un 100 % match. L’agence choisit de ne pas les facturer au client et ne paye donc pas le traducteur pour ces segments afin d’assurer une bonne marge au projet.
  • l’agence part du principe que ces segments ne sont pas à relire, que les projets sont similaires et qu’en général, ce sont toujours les mêmes traducteurs qui travaillent sur les mêmes types de projets, ces segments ne sont donc pas payés au traducteur.
  • pour de pures raisons économiques : en effet, si l’on fait payer des 100 % match au client qui ne connaît pas le principe d’une TM et qu’on ne les paye pas au traducteur, notre marge sur le projet sera plus grande.

 

Mais alors, dans ce cas précis, la qualité de la traduction risque d’être impactée. Comme le montre ce billet de blog publié sur le site internet de l’agence de traduction russe Velior, les 100 % match devraient toujours être relus et donc facturés. En effet, partir du principe que le fruit d’une mémoire de traduction est forcément correct est une erreur. Parfois, ces dernières sont mal segmentées ou contiennent des erreurs que le chef de projet n’aura jamais remarquées. De plus, d’un document à un autre, il est possible que le même segment puisse se traduire autrement selon le contexte. Pour toutes ces raisons, il est très important de toujours les relire.

Reste à savoir si l’agence privilégie la qualité ou la marge…

Heureusement, plusieurs agences de traduction payent les traducteurs pour les 100 % match selon leur grille de tarifs. En général, leur prix varie entre 10 et 30 % du tarif normal. Bien entendu, pour certains types de projets, ces segments seront toujours corrects et n’auront pas forcément besoin d’être relus mais ne pas y prêter attention demeure risqué. D’ailleurs, qu’il soit payé ou non, un traducteur professionnel relira forcément tout le texte et donc tous les segments (100 % match compris) afin de traduire de façon optimale. N’est-il donc pas plus juste de rémunérer ce travail de relecture, aussi minime soit-il ?

N’hésitez à me dire ce que vous en pensez en commentaire !

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Ainsi, nous l’avons vu, deviser un projet n’est pas aussi simple que l’on croit, plusieurs facteurs entrent en jeu et aucun projet ne ressemble exactement à celui qui le précède. C’est du cas par cas. Certaines agences choisissent l’option qui leur permet d’avoir la meilleure marge au détriment de la qualité de la traduction, ce qui n’est pas toujours le bon choix. D’autres au contraire, préfèrent jouer la carte de la transparence avec leur client et de les « éduquer » sur le monde de la traduction et les outils de TAO, quitte à faire moins de marge sur un projet.

 

Au final, le plus important est que chaque acteur y trouve son compte, que la qualité de la traduction soit au rendez-vous et que chacun soit rémunéré de la manière la plus honnête et la plus transparente possible.

 

Liens utiles :

https://www.onehourtranslation.com/translation/blog/translation-billing-word-hour-or-project

http://www.nwiglobal.com/blog/translation-pricing-how-does-it-work/

https://www.proz.com/forum/money_matters/202937-translation_memory_100_matches_and_billing.html?text=translation%20memory%20100%25%20matches%20and%20billing%20(Money%20matters

 

3 réflexions sur “La valeur des mots

    1. Merci Alix ! Il me semble que pour des langues comme l’allemand justement, cela arrivait plus souvent que les traducteurs fassent payer au nombre de lignes ou de caractères. Mais il faudrait demander à quelqu’un dont c’est la langue de travail pour être vraiment certain !

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