Traduire les noms propres… Oui ? Non ? Peut-être ?

Par Marion Coupama, étudiante M1 TSM

« Mais qu’est-ce que tu racontes ? Les noms propres ne se traduisent pas ! »

En êtes-vous certains ? Parce que je trouve que Christophe Colomb et Léonard de Vinci sont des noms aux sonorités très françaises… N’est-ce pas un peu étrange pour des personnalités d’origines italiennes ? Eh oui, vous l’aurez compris, certains noms propres ont bien fait office de traduction ! Christophe Colomb se nommait en réalité « Cristoforo Colombo », tout comme Léonard de Vinci portait le nom de« Leonardo da Vinci ». Cette tendance visant à traduire les noms propres remonte donc à très longtemps dans l’histoire, mais est-elle toujours d’actualité ? Dans quel cas peut-on songer à traduire des noms propres ? Les questions peuvent continuer à se multiplier sur le sujet tant il est vaste. Cet article visera à vous donner de nombreux exemples ainsi que des éléments de réflexion.

Avant de commencer, passons bien évidemment par la case habituelle, une petite définition.

 Qu’est-ce qu’un nom propre ?

Selon le grammairien Maurice Grévisse dans son ouvrage Le Bon Usage, un nom propre correspond à « celui qui ne peut s’appliquer qu’à un seul être ou objet, ou à une catégorie d’êtres ou d’objets pris en particulier ; il individualise l’être, l’objet ou la catégorie qu’il désigne ». Nous avons bien souvent tendance à l’oublier, mais le champ des noms propres est beaucoup plus vaste qu’il n’y paraît. Rappelons ainsi que les noms propres peuvent être classés selon six grands types :

  1. Les anthroponymes (noms de personnes, gentilés, organisations, etc.)
  2. Les toponymes (noms de lieux, édifices, etc.)
  3. Les ergonymes (noms d’objets et produits fabriqués, marques, titres d’œuvres)
  4. Les praxonymes (noms d’événements ou de fêtes)
  5. Les phénonymes (phénomènes environnementaux, comètes, astres, etc.)
  6. Les zoonymes (noms d’animaux)

Dans le cadre de cet article, je vais principalement m’intéresser aux deux premières catégories, à commencer par les anthroponymes : dans quel cas sont-ils traduits ?

Comme vous pouvez vous en douter, suite aux exemples mentionnés lors de mon  introduction, les noms propres peuvent se traduire lorsqu’il s’agit de personnages historiques. Voici donc quelques exemples intéressants dans diverses langues :

  • Le célèbre empereur romain « Caius Julius Caesar » devient « Jules César » en français et « Júlio César » en portugais ;
  • L’humaniste hollandais « Desiderius Erasmus » devient « Érasme » en français et « Erasmo » en espagnol ;
  • Le Pape polonais « Jan Paweł II » devient « Jean Paul II » en français et « John Paul II »en anglais.

Cette tendance à traduire les noms de personnages historiques ne se fait donc pas uniquement en français, de nombreuses autres langues adoptent cette pratique depuis plusieurs siècles. Mais alors, qu’en est-il d’aujourd’hui ?

Avons-nous cessé de traduire les noms et prénoms ?

Détrompez-vous, car mon prochain exemple ne date pas de très longtemps et je suis sûre que vous aurez la référence. Si je vous parle d’Harry Potter, peut-être que vous verrez où je veux en venir, car dans mon cas, je me rappelle très bien de la première fois où j’ai appris que Poudlard n’était pas le « vrai » nom de cette école de magie célèbre. En effet, dans la saga littéraire Harry Potter de JK Rowling, l’école de sorcellerie porte en réalité le nom de « Hogwarts » en anglais. Mais alors, pourquoi avoir effectué ce changement ? Pour répondre à cette question, je vous invite à regarder cette interview de Jean-François Ménard, le traducteur français de la saga.

Comme l’explique le journaliste dans cette vidéo, traduire un nom propre demande une interprétation de ce nom ainsi qu’une « re-création ». En ce qui concerne la traduction de « Hogwarts » en « Poudlard », le traducteur littéraire nous affirme que le changement devait s’opérer car le mot en langue source « signifie quelque chose ». En effet, « hog » en anglais signifie « cochon » que le traducteur transforme en « lard ». « Wart » signifie « verrue » qu’il décide de traduire par « poux ». Le tout nous a donné le très célèbre « Poudlard ». Jean-François Ménard ajoute par ailleurs que ce choix de traduction fut un triomphe, car non seulement ce nom signifiait quelque chose, mais de plus, il gardait « une sonorité un peu anglaise », ce qui a son importance. En effet, selon Michel Ballard, auteur de La traduction des noms propres, il est important de conserver les noms propres dans leur version originale afin de pouvoir préserver leur origine culturelle. Ainsi, en choisissant de traduire « Hogwarts » par un nom aux sonorités anglaises, Jean-François Ménard respectait ce principe.

Une histoire de choix ?

Bien sûr, n’oublions pas qu’en traduction, il s’agit toujours d’une histoire de choix ! En effet, le traducteur d’Harry Potter a choisi de traduire certains noms et pas d’autres, même si ces noms avaient un sens. Par exemple, le célèbre nom du professeur « Dumbledore » signifie « bumblebee », autrement dit, « bourdon » en français. Mais alors, pourquoi ne pas avoir choisi de traduire son nom par le professeur « Bourdon » ? Jean-François Ménard nous répond qu’il trouvait cela tout simplement ridicule ! Autre exemple du même genre, j’ai eu le plaisir de lire la préquelle d’une autre saga, celle d’Hunger Games, de Suzanne Collins, intitulée La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur. Dans ce roman nous suivons l’aventure d’un certain « Coriolanus Snow » et sa phrase fétiche est la suivante :

« La neige se pose toujours au sommet. »

Pour comprendre tout l’intérêt de cette phrase, il faut faire le lien entre le nom de famille du personnage et sa traduction. En effet, son nom de famille « Snow » se traduit en français par « neige », d’où cette fameuse phrase signifiant la montée de la famille Snow (neige) au pouvoir (sommet). Ainsi, sans une traduction du nom de famille, impossible de comprendre le jeu de langue. Mais alors pourquoi ne pas avoir traduit le nom de famille de Coriolanus Snow pour nous offrir un sublime « Coriolanus Neige » ? Seul Guillaume Fournier, traducteur de la saga, détient la réponse… Mais, j’imagine qu’encore une fois, il s’agit d’une histoire de choix.

Je traduis si je veux ?

La confusion règne grandement concernant la traduction des noms propres mais une seule chose est sûre, il n’existe pas de règle précise. Certains sont traduits et pas d’autres. Certains doivent être traduits et pas d’autres. Certains peuvent être traduits et pas d’autres. Dans le cas des personnages historiques, certaines pratiques sont automatiques. Par exemple, le nom du Pape est toujours traduit dans la langue cible, peu importe la langue. De la même façon, les noms des membres de la famille royale britannique sont toujours traduits en espagnol. On parle alors de la « Reina Isabel II » pour la reine Elizabeth II et du « príncipe Carlos » pour le prince Charles. Cette pratique peut paraître très étrange pour nous en France, vous imaginez si le prince William se transformait subitement en « prince Guillaume » ?

De même, j’imagine que pour les Britanniques, il est tout aussi étrange que nous nommions leur capitale par un très français « LonDRES » plutôt que par un simple « London » en version originale. Pourtant, de nombreux noms de villes étrangères possèdent des équivalents : Grenade en Espagne équivaut à « Granada », « Lisboa » se fait appeler Lisbonne, « München » devient Munich, sans oublier le très surprenant « Wales » qui devient le pays de Galles. Bref la liste est très longue. Néanmoins, cela n’explique toujours pas pourquoi Madrid est resté Madrid, ou pourquoi Budapest n’est pas devenu « Boudapest » ? Les mystères de la langue sont parfois bien difficiles à comprendre et je ne vous ai même pas encore parlé des enjeux de la translittération. Vous savez, cette méthode qui vous permet de comprendre que 北京 signifie « Pékin » en utilisant une transcription phonétique ? Elle présente elle aussi son lot de soucis. Les transcriptions ne respectent pas toujours la phonétique de la langue cible et les graphies varient d’une langue à l’autre. En effet, même si deux langues possèdent le même alphabet, les sons ne s’écrivent pas de la même façon. C’est donc pour cette raison que pour la capitale « Москва », vous verrez « Moscou » en français, mais « Moscow » en anglais !

Conclusion

S’il y a bien une chose à retenir c’est que les noms propres se traduisent bel et bien contrairement à ce que l’on pourrait penser si l’on ne creuse pas un peu. En revanche, il faut bien évidemment nuancer. Oui, les noms propres se traduisent, mais uniquement dans certains cas et selon le choix du traducteur. Sans oublier bien évidemment les automatismes de la langue et l’importance de l’usage. Pour comprendre plus profondément tout ce qu’implique la traduction des noms propres il faudrait faire un tour dans les profondeurs de l’histoire et de la linguistique. Cela pourrait notamment vous aider à comprendre comment nous sommes passés de «Londinium » en latin à « Londres » que l’on connaît aujourd’hui. Et puis d’ailleurs, il vient d’où ce -s à la fin ?

Bibliographie :

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BIHAN, Guy le, 2006. Le nom propre : identification, appropriation, valorisation. Cahiers de sociolinguistique. 2006. Vol. n° 11, n° 1, pp. 9‑26.

DAILLE, Béatrice, FOUROUR, Nordine et MORIN, Emmanuel, 2000. Catégorisation des noms propres : une étude en corpus. . 2000. pp. 15.

GULLI, 2013. Harry Potter : à propos des traductions des noms propres [en ligne]. 10 octobre 2013. [Consulté le 14 mars 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=qLp8FzHEMpw

JEANSON, Pierre, 2019. Traduire les prénoms. [en ligne]. 10 novembre 2019. [Consulté le 13 mars 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.linkedin.com/pulse/traduire-les-pr%C3%A9noms-pierre-jeanson/

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3 réflexions sur “Traduire les noms propres… Oui ? Non ? Peut-être ?

  1. Merci pour votre très instructive analyse. La question de la dénaturation via l’adaptation est donc bien posée. J’aurai tendance à choisir le respect systématique de l’original. Par respect formel d’une part car la traduction est comme un miroir déformant au motif que cette déformation serait plus compréhensible par la cible (les lecteurs-trices); d’autre part pour favoriser l’ouverture intellectuel de cette cible à « l’étranger ». Vos exemples de noms de capitale inchangés illustrent bien ce double objectif.
    Bien cordialement.
    jf massé la rochelle

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