Le sous-titrage, c’est un métier !

Par Aurélien Vache, étudiant M2 TSM

soustitrage

 

Le sujet de cet article m’a été inspiré par un exercice réalisé l’année dernière dans le cadre du cours de Nigel Palmer, « Techniques de traduction audio-visuelle ». L’objectif était de sous-titrer dans la langue de Molière une vidéo de quelques minutes, un travail qui paraît simple mais qui ne peut pas être confié à Monsieur ou Madame Tout-le-Monde.

Le sous-titrage, une profession à part entière

À l’instar de beaucoup de métiers, celui de sous-titreur ne s’improvise pas et nécessite des équipes professionnelles. Le fait est qu’il s’agit d’une profession relativement méconnue. Et pourtant, il ne faut pas oublier que c’est grâce aux sous-titreurs que nous pouvons regarder nos séries préférées en version originale sous-titrée (VOST), même si, comme nous le verrons dans ce billet de blog, les professionnels du secteur sont confrontés à une concurrence on ne peut plus déloyale.

À ne pas confondre avec le doublage, l’interprétariat ou la langue des signes, le sous-titrage est un travail de longue haleine, car les sous-titres ne doivent pas dépasser une certaine longueur, exprimée en nombre de caractères par ligne. C’est l’une des principales contraintes auxquelles doit faire face le sous-titreur, qui est donc obligé d’user de subterfuges pour tirer son épingle du jeu. Ainsi, la question Remember me? pourra être traduite par « Tu me remets ? » plutôt que par « Tu te souviens de moi ? ».

Par ailleurs, il va de soi que le style adopté doit être soigné et que le contenu traduit doit être adapté au public cible. Il n’est pas rare que les dialectes et les différents niveaux de langage donnent du fil à retordre aux traducteurs, comme en témoigne Blandine Ménard concernant la traduction des sous-titres de Game of Thrones.

 

Traduire des jeux de mots n’est pas non plus tâche aisée, surtout lorsqu’il n’y a pas d’équivalent dans la langue cible. Un exemple parlant est celui de cette blague, racontée par l’un des personnages principaux d’une série américaine diffusée il y a quelques années : You know what kind of fish you can find in a hospital? (Tu sais quel genre de poisson on peut trouver dans un hôpital ?). La réponse donnée est A sturgeon (calembour entre sturgeon, esturgeon, et surgeon, chirurgien), ce qui a été traduit dans les sous-titres français par « Un poisson-chirurgien ». La traduction proposée est valide en ce sens que ce poisson existe réellement (Dory en est la preuve), mais il n’en demeure pas moins qu’elle illustre une véritable difficulté de traduction.

Il n’existe pas de parcours type pour devenir sous-titreur, mais plusieurs universités offrent une formation préparant à ce métier. Par exemple, c’est le cas de l’Université de Lille avec le Master MéLexTra (Métiers du lexique et de la traduction). Les compétences recherchées sont, cela va sans dire, la maîtrise d’au moins une langue étrangère et de solides bases en traduction, mais aussi une certaine aisance avec l’image, le son et le rythme.

Tout comme le marché du doublage, celui du sous-titrage est actuellement en plein essor, grâce notamment à un engouement croissant pour les séries. Il est estimé que le doublage et le sous-titrage représentent cinq milliards de dollars à l’échelle mondiale, l’essentiel provenant du doublage. En France, le chiffre d’affaires de ces secteurs a atteint cent millions d’euros en 2017, soit une hausse de vingt pour cent en deux ans. Selon Nice Fellow, l’un des principaux laboratoires de sous-titrage français, l’Hexagone n’est autre que « le pays le plus exigeant sur la qualité du doublage et du sous-titrage ».

Cette affirmation nous amène au cœur même de la préoccupation première des professionnels. Ces derniers voient d’un mauvais œil la multiplication de ces sous-titreurs pirates qui leur portent ombrage en proposant des traductions souvent médiocres de séries américaines, en un temps record et à des tarifs défiant toute concurrence. En conséquence, les professionnels du sous-titrage se voient contraints de revoir leurs prix à la baisse. Juliette De La Cruz, ancienne présidente de l’ATAA (Association des traducteurs et adaptateurs de l’audiovisuel), considère que « c’est impossible de travailler en dessous de quinze euros la minute » pour les traductions de séries. À en croire le magazine Télérama, un adaptateur sur deux jetterait l’éponge dans les cinq années suivant sa formation, cela en raison du phénomène de ce que l’on appelle les fansubbers (contraction de fan et de subtitle, sous-titrer).

 

Les fansubbers, ces pirates du sous-titrage

C’est donc ainsi que sont appelés ces aficionados de séries télévisées qui les traduisent à la chaîne et en parfaits amateurs, et ce dès leur diffusion outre-Atlantique. Pour ces traducteurs du dimanche, le sous-titrage est un passe-temps, pas un travail. Du côté des professionnels, on évalue à une semaine environ le temps nécessaire à la traduction d’un seul épisode, en fonction du nombre de répliques. À titre d’exemple, il faut en compter en moyenne quatre cents pour un épisode de The Walking Dead.

Toutefois, on observe depuis peu une tendance qui prend de plus en plus d’ampleur : depuis que certaines chaînes françaises offrent aux téléspectateurs la possibilité de regarder le nouvel épisode de leur série favorite le lendemain même de sa diffusion aux États-Unis, les délais peuvent être bien plus courts. Par conséquent, les traducteurs se retrouvent à devoir adapter les épisodes en un jour ou deux seulement, dans un stress palpable.

D’un autre côté, d’aucuns estiment que la traduction n’est pas une profession à proprement parler lorsqu’elle a trait aux films et aux séries. Force est de constater qu’un certain nombre de mordus de séries n’ont cure de la qualité des sous-titres proposés, du moment qu’ils n’ont pas à attendre pour connaître la suite des aventures de leurs personnages préférés. Le problème, c’est que de cette façon le travail effectué par les sous-titreurs professionnels ne peut pas être apprécié à sa juste valeur.

Cependant, une plus grande menace, venue tout droit de Californie, plane sur les professionnels du secteur. En effet, afin notamment de minimiser les coûts, plusieurs mastodontes de l’industrie cinématographique américaine font la part belle à SDI Media, un laboratoire colossal qui propose des tarifs imbattables. Il est composé de milliers de traducteurs, dont la plupart sont des étudiants mal formés et sous-payés qui traduisent en quatrième vitesse, sans même prêter attention aux images, parfois tout en parlant français comme des vaches espagnoles !

Pour en revenir au fansubbing, qui s’est développé au début des années 2000, il ne faut pas oublier qu’il représente une violation des droits d’auteur, au même titre que le téléchargement illégal.

Interrogée par Europe 1 en 2014, Dorothée, sous-titreuse au sein du collectif amateur La Fabrique, nous raconte comment sont réalisés les sous-titres d’une série comme Girls. Après avoir téléchargé un épisode, elle s’empare des sous-titres anglais utilisés pour les sourds et les malentendants. Elle y enlève tout ce qu’elle juge inutile, c’est-à-dire par exemple les répliques qui ne comportent que des indications destinées à ces téléspectateurs. Elle partage ensuite les lignes de sous-titres entre les différents membres de son équipe de sous-titreurs. Dans le cas de Girls, ceux-ci, au nombre de trois, sont chargés d’en traduire peu ou prou deux cents chacun en respectant des normes calquées sur celles des professionnels. Une fois leur traduction terminée, ils se relisent les uns les autres et font la chasse aux coquilles, tout en discutant des divers choix de traduction envisageables. Puis Dorothée procède à la relecture finale de l’ensemble des sous-titres, étape au cours de laquelle elle s’attache, entre autres, à éliminer les éventuelles fautes d’orthographe et à vérifier l’harmonisation d’un bout à l’autre de l’épisode. Elle compare enfin cette version définitive avec celle d’origine et, après avoir échangé avec les membres de l’équipe sur les modifications apportées, elle rend le fichier accessible à tous sur la Toile, et ce gratuitement.

Il arrive que ces escouades de sous-titreurs amateurs comptent jusqu’à dix membres dans leurs rangs. On est alors aux antipodes de la manière de faire des professionnels, qui font cavaliers seuls ou bien travaillent en binôme, considérant impossible de sous-titrer en vingt-quatre heures.

Face à la piètre qualité des sous-titres des fansubbers, certains choisissent purement et simplement de laisser tomber les sous-titres français au profit des originaux, ceux-ci comportant des références intéressantes. D’autres affirment franchement avoir les yeux qui saignent, un sentiment qui a également pu être ressenti devant des programmes diffusés par le géant Netflix il n’y a pas si longtemps.

Netflix et l’ubérisation du sous-titrage

Effectivement, la plateforme américaine de vidéo à la demande s’est récemment fait pointer du doigt par ses abonnés et les professionnels pour des sous-titres traduits de façon très approximative. En l’espèce, l’exemple qui vient tout de suite à l’esprit est celui de Roma, film qui a remporté plusieurs récompenses dont le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère en 2019.

En France, l’ATAA a soulevé non seulement des erreurs techniques telles que l’absence de guillemets ou encore le non-respect de la vitesse de lecture, mais aussi et surtout de nombreuses erreurs linguistiques. Fautes d’orthographe et de grammaire, barbarismes, phrases à la mords-moi-le-nœud, contresens… Il y en a pour tous les goûts !

Mais rassurez-vous, si vous peinez à faire votre choix, Sylvestre Meininger, ancien vice-président de l’ATAA, a sélectionné pour vous les meilleures perles offertes par Netflix, c’est un cadeau de la maison ! Parmi elles, on trouve en particulier « Je vais vous consulter » à la place de « Je vais vous ausculter », corto qui est traduit en français par « bande annonce » au lieu de « court-métrage », « Prends-ça », « Regarde la », « Cleo nous a sauvé » et j’en passe…

De plus, les registres et les niveaux de langue des dialogues originaux ne sont pas respectés, puisque dans les sous-titres les enfants s’expriment dans un langage tantôt soutenu, tantôt familier. Par ailleurs, certains des sous-titres sont soit trop longs, soit trop courts, tandis que d’autres apparaissent à l’écran alors que personne ne prend la parole.

Sylvestre Meininger s’est demandé à juste titre pourquoi toutes ces bévues n’avaient pas conduit à la révision de l’ensemble des sous-titres. Il a également émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’une traduction automatique brièvement retravaillée ou effectuée à partir de l’anglais et non de la langue originale, c’est-à-dire l’espagnol.

Mais alors, comment cela a-t-il pu se produire ? Pour y voir plus clair, nous pouvons nous intéresser un peu plus à la société qui a acheté et diffusé ce film, à savoir Netflix. Ce n’est un secret pour personne : en l’espace de quelques années seulement, Netflix s’est fait un nom parmi les leaders du cinéma mondial, ce qui pose la question de la place qu’occupe la traduction.

Devant le nombre pharaonique de programmes qu’il diffuse dans le monde entier, le géant du streaming avait lancé en mars 2017 la plateforme Hermes afin d’internaliser tout le processus de sous-titrage. Le but de cette démarche était d’engager « les meilleurs traducteurs » possible. Aucun diplôme n’était requis pour pouvoir candidater, l’essentiel était évidemment de comprendre la langue de Shakespeare. Ouvert à tous, le test auquel les candidats étaient soumis se composait d’une épreuve de sous-titrage et d’un QCM consistant à identifier des erreurs techniques et linguistiques et à retranscrire des expressions idiomatiques.

Certains traducteurs membres de l’ATAA avaient passé le test par simple curiosité et la majeure partie d’entre eux ne l’avaient pas trouvé si facile que cela. Les postulants ayant été reçus avec succès avaient affirmé que l’accent avait été mis sur la rapidité, étant donné que leur travail était chronométré et qu’ils n’avaient pas la possibilité de l’enregistrer. Cette pratique constituait néanmoins une aubaine pour les fansubbers.

D’après les professionnels, Netflix aurait en réalité utilisé la plateforme Hermes pour établir sa propre base de données de sous-titreurs. De cette manière, Netflix a donné naissance à ce que l’on pourrait appeler l’ubérisation du sous-titrage, puisque ses employés étaient payés entre six et vingt-sept dollars la minute (pour le japonais ou l’islandais), des prix jugés bas par la profession. Cette dernière estime avoir été précarisée par l’expérience Hermes, qui a pris fin un an après son lancement. Depuis, Netflix garantit avoir réalisé l’importance de confier le sous-titrage à ceux dont c’est vraiment le métier.

Un mot pour conclure…

Le sous-titrage est bel et bien la spécialité d’un certain nombre de traducteurs professionnels à travers le monde, ce qui contraste avec les idées reçues dont fait l’objet ce métier. Ainsi, il n’est pas rare que la traduction de sous-titres soit avant tout considérée comme bénévole, une tendance véhiculée notamment par le fansubbing. Les déboires récents de Netflix en matière de sous-titrage n’ont pas contribué à crédibiliser la profession de sous-titreur, bien que celle-ci ait accéléré sa croissance ces dernières années.

Si vous êtes arrivé jusqu’ici sans faire défiler la page à toute vitesse, je vous remercie beaucoup d’avoir pris le temps de lire mon article. J’espère que vous l’avez trouvé intéressant et qu’il vous a permis de mieux connaître le métier de sous-titreur.

La traduction touristique doit aussi être confiée à des professionnels, l’objectif étant naturellement de donner envie de partir à la découverte de nouveaux horizons. Pour en savoir plus sur le sujet, je vous conseille vivement de lire le billet de Jeanne Delaunay paru il y a deux semaines.

 

Sources

https://www.telerama.fr/series-tv/leur-mission-traduire-les-series-en-24-heures-chrono,111161.php

https://www.lepoint.fr/pop-culture/series/pourquoi-les-sous-titres-de-netflix-frisent-l-amateurisme-06-05-2019-2310985_2957.php

https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/television-les-doublages-et-sous-titrages-en-plein-essor-1023683

https://www.telerama.fr/cinema/netflix-invente-l-uberisation-du-sous-titrage,156558.php

https://www.europe1.fr/medias-tele/Les-fansubbers-ou-le-sous-titrage-low-cost-656496

https://beta.ataa.fr/blog/article/le-sous-titrage-francais-de-roma

https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/04/09/comment-netflix-tente-d-uberiser-le-sous-titrage-de-ses-series_5108368_4832693.html

https://www.terrafemina.com/emploi-a-carrieres/trouver-un-emploi/outils/1172-sous-titreur-un-metier-en-plein-boom-.html

8 réflexions sur “Le sous-titrage, c’est un métier !

  1. Je vais peut-être décourager les sous-titreurs, mais je leur dirai que leur grande réussite devrait être qu’on arrive vite à se passer d’eux. Quand ma fille a eu onze ans et a commencé l’anglais, je lui ai dit : « A partir de maintenant je te laisse regarder autant de films que tu veux, mais en anglais. » Elle a bien regardé vingt fois « Les quatre filles du docteur March » et à la fin elle était en quelque sorte une cinquième fille dans un coin qui écoutait parler les autres. Au bout d’un certain temps elle m’a demandé : « Papa, tu n’as pas des films sans sous-titres ? ça gâche l’image et c’est mal traduit. »

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    1. Se passer des sous-titreurs ? Vous voulez dire « apprendre toutes les langues du monde » ? Parce que votre petit exemple porte sur l’anglais, mais il y a des films dans énormément d’autres langues…

      Et même pour l’anglais, c’est discutable. On peut être à l’aise avec l’anglais des États-Unis, mais pas avec celui d’Angleterre, ou avoir des problèmes à comprendre un accent irlandais, australien… Même remarque pour un vocabulaire spécifique (films de pirates, de gangsters…), des niveaux de langue particuliers (argot, par exemple), une époque antérieure. Mieux vaut donc rester humble ! Pour les sous-titreurs, cette étape de compréhension peut aussi prendre du temps, des recherches, avant de pouvoir traduire le dialogue d’origine pour qu’il soit compréhensible par le public français.

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      1. Qu’on ne se méprenne pas ; j’ai la plus grande estime pour les sous-titreurs et j’ai pour eux beaucoup d’admiration ; j’ai pensé à eux récemment en m’occupant de la traduction d’un texte publicitaire où il fallait, tout en affectant la conviction et en parlant avec élégance, se limiter strictement pour chaque ligne à un nombre de caractères imposé. C’était pénible mais pour moi exceptionnel, alors que pour le sous-titreur il s’agit du quotidien. Et j’ai alors repensé à l’opinion qu’on avait des poètes au XVIIIème siècle car on aurait pu dire aussi bien : « Le sous-titreur est quelqu’un qui s’efforce de marcher avec grâce les fers aux pieds. »

        Au reste ma fille, en méprisant les sous-titres était un peu l’enfant qui bat sa nourrice car ce sont bien les sous-titres qui lui avaient permis d’accéder à une excellente connaissance de l’anglais.

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  2. Vous écrivez : « Une étude menée par l’ATAA a montré qu’un adaptateur sur deux jetait l’éponge dans les cinq années suivant sa formation, cela en raison du phénomène de ce que l’on appelle les fansubbers ».

    Pourriez-vous indiquer où se trouve cette étude ?

    Par ailleurs, à propos du fansubbing, je vous conseille ces deux articles :

    https://journals.openedition.org/traduire/618
    https://journals.openedition.org/map/3360

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    1. L’affirmation se trouve dans l’article de Télérama qui figure en bibliographie : « d’après une étude de l’Ataa, un adaptateur sur deux abandonne le métier dans les cinq ans qui suivent sa formation. Pas besoin de sous-titre pour comprendre l’ampleur de la désillusion ». Toutefois le journaliste ne cite pas la source exacte de l’étude. Le rédacteur du billet a été contacté et a donc modifié son propos, en renvoyant vers l’article de Télérama, qui devient donc une source indirecte, d’où l’emploi du conditionnel.

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