Netflix et la traduction

Par Célia Wisniewski, étudiante M2 TSM

NetflixTraduction

 

Avec les réseaux sociaux et les autres moyens de communication, il est assez courant de reporter la moindre erreur, et malheureusement pour Netflix, ils n’ont pas échappé à cette nouvelle réalité. Les erreurs de traduction se sont multipliées, donnant parfois des résultats frôlant le ridicule. Un hashtag TraduisCommeNetflix, un classement Topito ou encore une page Tumblr ont vu le jour. Cette mauvaise publicité a vite fait prendre conscience à Netflix de la faiblesse de son processus de traduction. Quelles étaient les failles de ce processus ? Quelles améliorations ont été apportées ? C’est à ces questions que nous allons répondre. Netflix et la traduction, une histoire au passif mitigé, mais en voie d’amélioration.

En 1997, Netflix voit le jour. En 2010, la plateforme connaît un développement fulgurant grâce à l’accélération du débit internet rendant possible le visionnement en streaming de contenu vidéo. Aujourd’hui, Netflix est présent dans 190 pays pour un chiffre d’affaires de 12 milliards d’euros (2017) pour 158,33 millions de clients (2019). C’est un des leaders incontestés du marché. Ces performances s’expliquent avant tout grâce à la disponibilité de son contenu dans de nombreuses langues (sous-titres et/ou bande audio). Pour exemple, la série « Stranger Things », l’un des contenus originaux phares de Netflix propose 6 bandes audio différentes et 5 langues sont disponibles en sous-titre. Au total, cela permet de toucher sept langues différentes. Ces langues représentent la majeure partie de la cible Netflix (allemand, anglais, espagnol, français, portugais et arabe). Cela démontre bien que la croissance de Netflix est étroitement liée à sa capacité de traduction.

Dans un environnement concurrentiel comme celui du streaming vidéo où seule l’exclusivité de contenu permet de tirer son épingle du jeu, Netflix a fait le choix de produire et/ou de financer son propre contenu. En effet, le nombre de programmes originaux Netflix ne cesse de croître (Orange is the new black, 13 Reasons Why, Narcos, BoJack Horseman, etc.). Mais qui dit production vidéo dit également traduction. La variété de langues sources (anglais, français, coréen, portugais, espagnol, allemand, italien, etc.) et  le nombre de langues cibles rendaient les projets de traduction compliqués et avait comme conséquence finale un coût de traduction important.

Pour y remédier, Netflix a revu son processus de traduction et a lancé en 2017 une plateforme dédiée nommée Hermes. Pour être répertorié sur cette plateforme en tant que traducteur, il faut passer un QCM de 2 heures qui prend en compte la compréhension de l’anglais, mais surtout la rapidité. Ceux qui réussissent le test peuvent ensuite traduire les contenus que Neflix publie au fur et à mesure. Bien sûr, la cohérence entre les épisodes n’est pas respectée puisque les épisodes sortent petit à petit, et les traducteurs changent d’un épisode à un autre. Le salaire proposé est un salaire à la minute de contenu, et non à la minute traduite comme c’est souvent le cas pour la traduction de contenu audiovisuel. Cela signifie donc que le salaire touché peut passer du simple au double voire au triple en fonction du nombre de dialogues dans le film.

Mais les critiques ne se font pas attendre. En effet, contrairement au milieu professionnel de la traduction, les traducteurs Netflix ne sont pas des traducteurs reconnus. Le métier de la traduction admet aujourd’hui une diversité de formations et donc une diversité des profils. De ce fait, les contrats moins rémunérés à l’image de ceux de Netflix, sont choisis par des traducteurs n’ayant pas forcément les capacités de traduction nécessaires. Il en résulte donc une qualité de traduction discutable, surtout lorsque le contexte de la série n’est pas connu lors de la traduction. On trouve souvent dans ces sous-titres des abréviations, des fautes d’orthographe ou même des contresens. Netflix ferme finalement cette plateforme en 2018, prétendument à cause d’une base de données suffisamment étoffée.

Toutes ces problématiques ont contraint Netflix à abandonner cette plateforme afin de revenir à un processus plus traditionnel. Aujourd’hui, Netflix externalise sa fonction de traduction grâce à l’utilisation des partenaires locaux (appelés « Vendor »). Ces partenaires sont ensuite responsables de la qualité des traductions fournies et donc du choix des traducteurs. Côté traducteurs, le travail reste le même avec une méthode de paiement similaire. À titre d’exemple, une traduction de l’anglais vers le français est aujourd’hui rémunérée 7,2$ la minute (soit environ 6 euros) qu’importe le type de contenu traduit (le nombre de mots n’a aucune incidence). Cette traduction est toujours réalisée sur une plateforme développée par Netflix sur laquelle tous les traducteurs employés par Netflix travaillent. Cette plateforme fait également l’objet de vives critiques : chronométrage du temps de traduction, impossibilité d’enregistrer son travail, ou encore, envoi direct au partenaire Netflix sans vérification possible. La critique la plus dénoncée concerne la relecture des traductions. En effet, une relecture est censée être réalisée par une personne tierce physique et non un programme. C’est sur ce point que de nombreux doutes émergent. En effet, même si ce processus permet de réduire le nombre d’erreurs sur les traductions, les erreurs restantes pourraient être évitées par une relecture.

Il y a 5 ans, Netflix était le leader incontesté du streaming vidéo sur le marché. Depuis deux ans, le nombre d’acteurs s’est démultiplié (Amazon Prime, HBO, Canal +, etc.) et les politiques commerciales appliquées par ces derniers sont des plus agressives. De nombreuses séries sont retirées d’une plateforme pour repartir sur une autre et de ce fait, des contenus sont subitement supprimés de Netflix. Ce dernier point est l’autre problème de Netflix. Mais la remise en question de cette industrie pourrait avoir des conséquences sur la totalité des acteurs ayant un rôle à y jouer. Le rôle du traducteur est donc remis en cause. Il est donc normal de se demander si ce changement aura des conséquences sur la traduction de contenu multimédia.

 

Sources :

https://www.alltradis.com/sous-titrages-netflix/

http://www.slate.fr/story/169668/netflix-sous-titrage-traduction-recrutement-remuneration

https://www.assimil.com/blog/que-peut-on-dire-des-sous-titrages-des-programmes-netflix/

https://www.lesechos.fr/2017/04/netflix-a-la-recherche-de-traducteurs-pour-ameliorer-ses-sous-titres-165550

http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Les-mauvais-sous-titres-de-Netflix-enervent-les-professionnels

https://www.lepoint.fr/pop-culture/series/pourquoi-les-sous-titres-de-netflix-frisent-l-amateurisme-06-05-2019-2310985_2957.php

http://www.topito.com/top-traduction-netflix

https://slator.com/demand-drivers/why-netflix-shut-down-its-translation-portal-hermes/

https://beta.ataa.fr/blog/article/le-sous-titrage-francais-de-roma

7 réflexions sur “Netflix et la traduction

  1. Très intéressant, votre article!

    À sa lecture, je m’étonne (et me désole) vivement que Netflix ait approché la question de la traduction comme un simple problème technologique à régler de la façon la plus économique qui soit, sans égard aux pratiques en vigueur dans le milieu langagier qui assurent pourtant un résultat de qualité. D’où ces faux pas à la fois inutiles et irrespectueux tant de sa clientèle que des professionnels de la traduction. Cette dernière, visiblement, demeure pour beaucoup (trop) d’entreprises un vulgaire « mal nécessaire ».

    Netflix croyait-elle vraiment s’en tirer à bon compte en lésinant sur les mesures à prendre et les investissements à réaliser pour s’assurer de développer son offre mondiale et donc multilingue? Un article de Slator (https://slator.com/demand-drivers/why-netflix-shut-down-its-translation-portal-hermes/) nous indique que cette société fondée aux États-Unis (tiens tiens, une nation unilingue…) aurait sous-estimé l’ampleur de la tâche, qui pour comble s’écartait de l’essentiel de ses activités. Elle s’est ainsi résolue à collaborer avec des fournisseurs de services langagiers en bonne et due forme possédant le savoir-faire, l’infrastructure et l’effectif nécessaires pour mener à bien de tels projets.

    Enfin, la démarche ambitieuse de Netflix reflète malheureusement la présomption entrepreneuriale de pouvoir réinventer la roue (s’il s’agit de réduire les coûts), l’incompréhension des défis propres à la traduction (quelle que soit l’échelle) et, surtout, le préjugé tenace que la seule connaissance des langues suffit à faire un traducteur.

    J’aime

Laisser un commentaire